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FERMETURE DES ÉGLISES DE RÉVEIL AU CAMEROUN/3
L’ambigüité du rapport religion-politique
L’évasion
dans l’invisible ![]()
Avec beaucoup de sarcasme, certains média
font remarquer que c’est par la même loi de décembre 1990 qu’ont pris un essor
irrésistible et les églises de réveil et les débits de boissons au Cameroun.
Aujourd'hui, les résultats parlent d'eux-mêmes: les débits de boissons se
côtoient au centimètre près (il existerait plus de 6.000 bars dans la seule
ville de Yaoundé). Un privilège qu'ils sont seuls à partager avec les nouvelles
églises réveillées.
Mais, à la différence des bars, soumis un
régime de déclaration (il suffit de déposer une demande et verser l'impôt), les
églises sont soumises à un régime strict d'autorisation délivrée exclusivement
par le Président de la République, après avis du Ministre de l'Administration
territoriale et de la décentralisation[1].
Or, comme avouait le Ministre de la
communication dans son point de presse du 23 août, le tableau confessionnel
légal fait état de 47 associations religieuses dûment autorisées à ce jour,
dont la moitié entre 1990 et 2009. Depuis cette date, aucune association
religieuse n'a plus été autorisée. Ce qui voudrait dire que l'écrasante
majorité de ces églises qui essaiment les villes et villages à l'heure
actuelle, existent en toute illégalité, bénéficiant d'un régime de tolérance
administrative.
La presse n’en demandait pas tant pour
poser la question d’où vient-il que ces églises aient enregistré tant de succès
et bénéficié d’un régime de ‘tolérance administrative’ dans un pays où
lorsqu'une réunion d'un parti politique est envisagée, fut-elle de manière
restreinte dans une maison d'habitation, celle-ci est aussitôt repérée par les
services des renseignements qui font le “nécessaire” pour l'interdire sous le
couvert de trouble à l'ordre public? Et de répondre en même temps qu’il est
simple de comprendre que l'alcool et ces associations religieuses constituent
un opium bien entretenu par le régime en place pour distraire les Camerounais
afin de s'éterniser au pouvoir et les écarter des questions essentielles sur la
marche et la gestion de la chose publique[2]. ![]()
En effet, il est hors de doute que les
années quatre-vingt et quatre-vingt dix, pour être les années de la crise
économique et des programmes d’ajustement structurel, sont aussi celles qui ont
entraîné une percée spectaculaire des églises de réveil, avec l’enflure du
“spirituel” ou du “mystique”, qui n’est pas sans rencontrer la faveur des
populations, se rattachant à une culture traditionnelle pour qui l’invisible
constitue la partie fondamentale et la vraie face de la réalité.
Dès lors, si les vrais conflits se jouent,
et que les comptes se règlent dans les champs de bataille de l'invisible, il
devient inutile de se livrer à des résistances et a des luttes pour le
changement de la réalité visible. Autant de gagné pour les pouvoirs en
place !
Le religieux, que ce soit chrétien ou
“païen”, devient donc pour beaucoup de gens et aussi de jeunes, le lieu aux
contours d’évasion hors de la vie réelle et qui permet de faire l’économie des
engagements concrets pour le développement social et la transformation de la
réalité politique. Et, dans beaucoup de pays, en dépit de certains décrets
d’interdiction, les gouvernements mêmes ont amplement favorisé l’essor de ces
mouvements, car, absorbée par la chose divine, la jeunesse n’a plus le temps ni
le désir de contester l’autorité du pouvoir en place... Les dirigeants,
accrochés à un pouvoir souvent vacillant, ne demandent pas mieux[3].
Soutien au statu quo politique
Les conclusions de l’étude sur les églises
de réveil présentée par la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de
la défense français, semblent bien intéressantes et jettent aussi une lumière
particulière sur les implications mutuelles entre ces mouvements et le pouvoir
politique.
Sans doute, affirme Soiron Fallut, face à
des régimes politiques vécus comme immuables, et sur lesquels les individus
pensent ne pas avoir d’emprise (à travers des moyens classiques tels que des
élections ou la pression médiatique), l’église de réveil devient un espace de
liberté de parole (et donc de critique). Un lieu, en outre, où il est possible
d’acquérir une marge de manœuvre pour modifier sa condition.
Ce mouvement religieux, incarné par les
églises de réveil, véhicule une nouvelle vision du monde, une représentation
inédite du possible et du pensable, dans la mesure où avec Jésus “tout est
possible”.
A travers une solidarité accrue, le
parrainage au sein de ces églises peut se redoubler au sein des administrations
et des institutions étatiques.
Il est possible d’envisager le discours
évangélique/pentecôtiste comme une nouvelle idéologie socio-politique. Celle-ci
pourrait prendre de la vigueur au moment des crises politiques susceptibles de
voir le jour lors des prochains renouvellements à la tête de ces Etats. ![]()
Il faut aussi relever l’ambiguïté qui
consiste pour les politiciens à entretenir une image négative des églises de
réveil mais à en solliciter le soutien ; et des pasteurs des églises de réveil
qui diabolisent la politique mais tentent, dans le même temps, de s’y introduire.
Les églises préservent dans une certaine
mesure le statu quo des régimes politiques de ces pays en détournant les
fidèles d’une lutte ou de revendications sociales. Grâce à la puissance du
Saint Esprit et à la prière, ces églises se proposent d’apporter des solutions
à tous les problèmes auxquels sont confrontés les individus. Elles se
substituent donc dans une certaine mesure aux fonctions régaliennes.
En priant pour le Salut des autorités à
partir d’un argumentaire issu de la Bible, les églises de réveil entretiennent
une certaine stabilité politique au niveau national et, à terme, l’espace
politique pourrait s’enfermer dans un schéma de résolution des conflits, de
représentations et d’explications basé exclusivement sur le fait religieux[4].
________________________ [1] Cf. Cameroun - Prolifération des “églisettes”: Le renouveau, la Bible, les deux complices, in www.cameroon-info.net. Cf. aussi Cameroun - Débits de boissons: 6000 bars répertoriés à Yaoundé, in www.cameroon-info.net
[2] Cf. Cameroun - Prolifération des “églisettes…
[3] Cf. J. Peeters, Les Sectes. Un défi à l'évangélisation, Éditions l’Épiphanie,
Limete/Kinshasa 1990, 21-22.
[4] Cf. M. Soiron Fallut, Les églises de réveil en Afrique centrale…, 45-46.
01/10/2013
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