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LE TRAVAIL HUMAIN: “LIEU THÉOLOGIQUE”
En dépit des points de réflexion fournis
par le Magistère social et la théologie biblique, jusqu'aux années '50 le mot “travail”
n'existait pas dans les dictionnaires théologiques, symptôme de la carence de
la théologie et du manque d'une réflexion appropriée sur l'activité de l'homme.
C’est autour des années '40 qu’une
réflexion théologique sur les “réalités terrestres” commence à se développer. ![]() Dans cette direction, fondamentales ont été l'ouverture et la perspective de la théologie catholique de la zone linguistique française qui s'enracinait dans une nouvelle vision anthropologique, christologique et cosmique[1].
À partir d'une élaboration culturelle qui renvoyait
aux idées de la philosophie de l'action de Blondel, de l'humanisme intégral de
Maritain, de la perspective cosmique du P. Teilhard de Chardin, la théologie
des réalités terrestres développe une nouvelle dimension de l'activité humaine
dans l'histoire, en se structurant autour de la signification philosophique de
cette activité et du lien entre cette dernière et l'œuvre créatrice, rédemptrice
et sanctificatrice, avec les conséquences qui en découlent par rapport aux réalités
matérielles et à la réalisation des fins dernières.
Les thèmes fondamentaux de cette réflexion
théologique sont ceux du sens de l'histoire et d'une nouvelle vision du rapport
de l’Église au monde, ainsi que la relecture et la conception des réalités
terrestres à la lumière de
Va ainsi se développer une dialectique vivante
entre les “incarnationistes” et les “eschatologistes”. Les premiers, partisans
d'un sens et d’une valeur immanents de l'histoire du monde, de sa signification,
de sa continuité par rapport au salut et au Royaume de Dieu, s'opposaient aux
seconds qui affirmaient par contre une valeur simplement extrinsèque de cette
histoire qui n'a donc aucune relation avec le salut, soulignant, ainsi, la
discontinuité entre ce monde et le Royaume futur.
En réalité il ne s'agissait pas d'une opposition
très rigidement inconciliable, car sans incarnation, comme d’ailleurs sans eschatologie,
il n'y a pas de christianisme authentique, et l'un ou l'autre extrémisme est de
toute façon inacceptable.
La théologie des réalités terrestres a,
donc, le mérite d'avoir souligné la question de la valeur positive des réalités
du monde, elles-mêmes voulues par Dieu et intégrées dans son dessein de salut
qui comprend le mystère de la création, l’incarnation-rédemption et l’eschatologie.
“Pour
une théologie du travail”
Grâce au développement de cette réflexion
théologique, prend ainsi de l’ampleur l'intérêt pour le travail “en tant que
facteur essentiel dans la formation de notre civilisation et composante
fondamentale de la culture”[2], une réalité donc essentielle
de l'histoire humaine, spécialement avec le développement de la science, de la
technique, de l'industrie, des idéologies et des philosophies sociales apparues,
avec la nouvelle société industrielle, au XIXe siècle comme le
libéralisme capitaliste et le marxisme.
M.D. Chenu, théologien qui fut parmi les
premiers à apporter une contribution considérable à cette réflexion, soutenait
qu’au moment où le travail apparut comme un lieu de réflexion théologique, ce
dernier représenta une nouveauté, et sur le plan d'une conscience chrétienne et
celui de la réflexion théologique, en tant que “progrès d’une connaissance
renouvelée de la condition de l'homme dans la création et dans l'histoire”[3]. ![]()
Un ouvrage du même Chenu intitulé Pour une théologie du travail a constitué
ainsi un nouveau cours théologique, élaboré en recueillant et en synthétisant,
autour du thème du travail, beaucoup d’aspects de la pensée de P. Teilhard de
Chardin, d’E. Mounier et de J. Maritain.
Le théologien français, constatant le
manque d'une réflexion théologique spirituelle sur le travail, remarquait
qu'une évaluation et une définition de cette réalité ne pouvaient pas tenir
compte avant tout de sa dimension éthique, mais qu’il fallait la considérer
comme une réalité terrestre placée avant tout devant les exigences de
l'Évangile.
“Jusqu'à présent les intellectuels
chrétiens ne prenaient en considération cette réalité humaine qu’en tant qu’une
matière amorphe, apte, comme toutes les autres, à devenir matière de moralisation
et de sanctification, comme s’il s’agissait d’un 'devoir d'état' ; ils
commentaient, il est vrai, les chapitres de
La transformation qualitative, et non
seulement quantitative du travail de l'époque industrielle, passait par la
recherche et la définition du nouveau sens qu'il prenait dans la “civilisation
du travail”. Si la destinée de l'homme sur la terre est celle d'une conquête
intelligente de la nature, ce dernier, en tant que homo sapiens, ne pouvait l’être
que dans la plénitude de l'homo artifex.
Si la nature de l'homme est donc le fait
d’œuvrer, l'homme se réalise lui-même en dominant la nature sur laquelle il a
été placé comme maître, en la transformant dans un monde humain.
Valeur
positive de l'activité humaine
L’on constate, avec le développement de
cette théologie, la remise en cause d'une position, désormais anachronique, de
fuite des réalités du monde, pour affirmer par contre la valeur positive de ces
réalités et de l'activité humaine.
Le chrétien devra toujours davantage se
convaincre que “le travail, la civilisation du travail, vaut en elle-même, pour
sa propre vérité, pour une efficacité originale en vue de la construction du
monde, de la destinée historique de l'humanité”[5].
Donc, le préalable fondamental pour une
théologie du travail est la considération du but de ce dernier, qui n’est pas
tout simplement celui de gagner sa vie, mais de créer en même temps une énergie
sociale au service de l'humanité entière. Le travail devient, ainsi, non
seulement une production de profit, mais instrument de libération authentique, car
il révèle la profondeur de la nature sociale de l'homme ; c’est au niveau
de cette profondeur, que se situe la spiritualité du travail comme une théologie
authentique. ![]()
Si le travail, comme toutes les réalités, a
été inévitablement touché par le péché, il doit, comme toutes les autres choses,
être racheté dans l'économie de la rédemption.
En dépassant le dualisme de toute une
théologie précédente, le travail devient une jonction de l'homme avec
l'univers, de l'esprit avec la matière. L'homme est maître de l'univers,
collaborateur de la création, démiurge de sa propre évolution, en découvrant, en
exploitant, en spiritualisant la nature. Tout ceci inséré dans une vision
dynamique de l'histoire, du devenir social dans lequel l'activité et
l'engagement humain et chrétien dans le monde assument un rôle positif et
unique qui fonde une nouvelle spiritualité. (Traduit de l’italien par Franco Paladini)
________________________
[1] Teilhard de Chardin, M.D. Chenu, G. Thils, Y.M.
Congar, K. Rahner, E. Mersch, J. Daniélou, H.U. Von Balthasar, J. Alfaro sont à
compter parmi les pionniers qui ont donné une nouvelle impulsion et une
nouvelle vision à la réflexion théologique sur les réalités du monde et de
l’histoire.
[2] Cf. G. Mattai, Lavoro, in Dizionario Teologico Interdisciplinare. Coord. L. Pacomio, Marietti,
Torino 1977, 349.
[3] Cf. M.D. Chenu, Travail, in Encyclopédie de la foi,
IV, Cerf,
Paris 1967, 347.
[4] Cf. M.D. Chenu, Per una
teologia del lavoro, Borla, Torino 1964, 29-30.
[5] Cf. M.D. Chenu, Per una
teologia..., 51.
10/02/2014
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