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Droit canonique et cultures/27
POURQUOI L'ÉGLISE A-T-ELLE SON PROPRE
DROIT ?
![]() L'Église, en tant que société hiérarchiquement organisée d'un côté, et corps mystique de l'autre, est une unique réalité complexe issue d'un double élément : humain et divin, visible et invisible (cf. Lumen gentium, 8). Cette vision se base sur le principe de l'incarnation : le Christ, le Fils de Dieu devenu homme, récapitule en Lui le divin et l'humain et il n'y a en lui aucune solution de continuité entre ces deux niveaux. Même la mort, la réalité humaine la plus dévastatrice dévoile au plus haut degré la divinité du Christ.
Comme l’écrit Paul
Claudel, l'épée qui transperça Jésus sur la croix parvint à transpercer le cœur
même de À partir de ce principe de base, on peut comprendre la raison pour laquelle l'Église, peuple de Dieu dans l'histoire de l'humanité, a son propre droit qui provient de son origine surnaturelle. On comprend alors en même temps la différence essentielle entre le droit de l'Église et le droit civil : le but vers lequel le premier tend n’est pas seulement de coordonner et de régler les droits des individus ou des états, mais principalement celui de poursuivre la salus animarum, le salut des âmes[1] ; pour cette raison, on lui reconnaît, donc, une fonction pastorale[2]. ![]()
Cela ne signifie pas que
dans le droit canonique n’est présent que l'aspect spirituel au détriment de l'attention
pour l'homme concret ; bien au contraire, dans le Code de droit canonique nous
trouvons non seulement des canons (kanon
en grec signifie 'règle, norme') qui garantissent la protection des droits
fondamentaux du fidèle[3], mais, dans sa globalité, il
règle aussi le comportement du chrétien et de la communauté ecclésiale. À cause
de l'unité entre l'attitude intérieure et celle extérieure du fidèle, le droit canon
est attentif aux actes que ce dernier accomplit et aux motivations qui le
dirigent. D'ailleurs, comme nous pouvons percevoir les mouvements de l'Esprit à
travers ses manifestations visibles, tangibles[4], à travers les actes concrets
on remonte ainsi aux intentions de celui qui les accomplit, à son intériorité.
Nous retrouvons ici
une autre particularité du droit canonique : l'Église a la faculté de juger
aussi l'intention de celui qui pose des actes extérieurs. En effet, des gestes
qui extérieurement peuvent paraître identiques, une fois clarifiés par
l'intention de celui qui les accomplit, apparaîtraient comme ayant un sens
opposé. Deux épisodes tirés de l'Évangile de ![]()
Pour cela l'Église se
réserve de juger les intentions de ses fidèles, c’est-à-dire ceux qui entendent
se soumettre à son discernement. Ce pouvoir de l'Église n'est donc pas une
dictature qu'elle exerce sur les consciences des sujets qui s’y soumettent avec
un esprit de servilité, comme certains voudraient l’insinuer, mais un service auquel
le Christ l'a appelée, en particulier à travers la hiérarchie, pour aider, en Son
nom et par Son pouvoir vicaire, tous les fidèles à atteindre le salut de l'âme.
En plus, la fonction
du droit canonique est, en particulier, celle d'établir les limites à
l’intérieur desquelles le fidèle peut évoluer en toute liberté pour vivre
l'Évangile et exprimer de nouveau à son niveau la richesse accumulée dans
l'expérience millénaire d'enseignement, de réflexion théologique et de modèles de
sainteté de l'Église ; limites à l’intérieur desquelles le bien spirituel
des fidèles est garanti. Les normes canoniques exercent, dans ce cas, la
fonction de l’enceinte classique de fil barbelé placée autour du champ miné ;
en la dépassant, l’intégrité de celui qui est à la recherche du frisson du
risque ne peut être garantie.
(Traduit de l’italien par Franco
Paladini)
______________________
[1] C’est ce que
l’on lit à la fin de la constitution apostolique Sacrae disciplinae leges du Pape
Jean Paul II, qui promulgue et introduit le Code de droit canonique de 1983, le
Code du Concile Vatican II. La même expression est reprise dans le dernier
canon du Code (can. 1752).
[2] Il s’agit de l’un des dix principes
directeurs qui ont porté à la rédaction du Code, selon ce qui est écrit dans sa
Préface.
[3] Il s’agit d’un
ultérieur principe de rédaction du Code.
[4] N’oublions pas
que ce principe est l’un des plus anciens de la spiritualité chrétienne, selon
lequel dans le sensible on saisit les mouvements de l’Esprit. Il s’agit d’une
doctrine commune à Origène, Irénée, Jean Chrysostome, jusqu’à l’Orient chrétien
qui lui a donné un relief particulier.
19/03/2014
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