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VOUS NE POUVEZ PAS VOUS TAIRE/1
Le dialogue islamo-chrétien au temps du “califat”
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La Déclaration du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux du
12 août dernier affiche un ton inédit. Elle commence vigoureusement – “le monde
entier a assisté, stupéfait, à ce qu’on appelle désormais ‘la restauration du
califat’ qui avait été aboli par Kamal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne”
– et continue en passant en revue les pratiques dont s’est rendu coupable l’“État
Islamique” : le massacre de personnes pour le seul motif de leur
appartenance religieuse, même à travers décapitations, crucifixion et pendaison
des cadavres ; le choix imposé aux chrétiens
et aux Yézidis entre la conversion à l’Islam, le paiement d’un tribut (la djizîa) ou l’exode, qui a touché de dizaines de milliers de
personnes, parmi lesquelles des enfants, des vieillards, des femmes enceintes
et des malades ; l’enlèvement de jeunes filles et de femmes appartenant
aux communautés yézidies et chrétienne comme butin de guerre ;
l’imposition de la pratique de l’infibulation ; la destruction et la
profanation des lieux de culte chrétiens, souvent d’une valeur culturelle
inestimable.
Elle arrive ensuite à une affirmation sans précédent
dans les documents de ce dicastère : “La situation dramatique des chrétiens,
des Yézidis et d’autres communautés religieuses et ethniques numériquement
minoritaires en Irak exige une prise de position claire et courageuse de la
part des responsables religieux, surtout musulmans, des personnes engagées dans
le dialogue interreligieux et de toutes les personnes de bonne volonté. Tous
doivent être unanimes dans la condamnation sans aucune ambiguïté de ces crimes
et dénoncer l’invocation de la religion pour les justifier. Autrement quelle
crédibilité auront les religions, leurs adeptes et leurs chefs ? Quelle
crédibilité pourrait avoir encore le dialogue interreligieux patiemment
poursuivi ces dernières années ?”.
Ceux qui ont suivi les développements du dialogue islamo-chrétien
perçoivent, sans doute, dans cette déclaration un tournant, mûri lentement
depuis une quinzaine d’années, aussi par le constat que justement tant de ces “personnes engagées dans le dialogue interreligieux”
interpellées dans la déclaration, avaient laissé passer toutes les occasions
pour dire une parole de condamnation face à tant de massacres de chrétiens, du
Timor Est au Nigéria, de la Somalie au Pakistan, de l’Égypte à l’Irak.
Les
réponses musulmanes
Et quant aux réactions, elles ont été très nombreuses, avec une prise de
distance radicale qui arrive jusqu’à la négation du caractère islamique de l’”État Islamique”. ![]()
Le 15 septembre, les principales organisations islamiques de France, le
Pays européen qui compte la plus grande présence de musulmans, ont signé un “appel”
qui saluait la réaction “spontanée, responsable
et unanime” des imâms qui avaient condamné, lors de leurs prêches, les actes abjects de l’État Islamique, une organisation – affirmaient-ils –
qui n’a rien ni d’État ni d’islamique non plus. Ils invitaient aussi les jeunes
musulmans français qui se sentiraient attirés par l’État Islamique à prendre
conscience de la gravité des crimes qu’ils pourraient commettre.
Quelques jours auparavant, même l’UCOII (Union des communautés
islamiques en Italie) avait diffusé un communiqué – très ambigu, en réalité,
comme nous le verrons – par lequel elle déclarait que “le respect et la
protection des Gens du Livre (les chrétiens et les juifs) et, en général, de
toutes les populations qui vivent dans un Pays ou un territoire gouverné par
les musulmans est un devoir incontournable de tout pouvoir qui se réfère à
l’Islam. Lorsqu’une force qui affiche les enseignes islamiques viole toutes les
règles charaïtiques et morales du conflit, aucune référence religieuse ne peut
être avancée pour les justifier ou les soutenir”.
Lors d’une récente rencontre interreligieuse à Anvers, le grand muftî d’Égypte, Shawqî ‘Allâm, a stigmatisé
les “sectateurs autoproclamés qui ont cherché à donner une image déformée de
l’Islam. Aucun de ces extrémistes n’a étudié l’Islam”.
La
“Lettre à Baghdâdî” ![]()
Beaucoup plus structurée, significative – et d’un ton décidément
différent – est la lettre écrite par cent vingt-six personnages influents et
savants musulmans au “calife” autoproclamé Abû Bakr al-Baghdâdî, à laquelle par la suite se sont ajoutées les
signatures d’autres experts. La lettre compte vingt-sept pages dans la version
arabe, dix-sept dans celle anglaise, et a été publiée sur internet (http://lettertobaghdadi.com). Elle comprend vingt-quatre thèses qui entendent
réfuter les pratiques de l’État Islamique (“Il est interdit dans l'Islam de
convertir les gens par la force”, “Il est interdit dans l'Islam de priver les
femmes de leurs droits”, etc.).
Vingt-sept pages semblent beaucoup, mais elles peuvent être aussi très
peu, et beaucoup de thèmes sont trop facilement bâclés. Parmi les signataires
il y a le déjà nommé grand muftî d’Égypte, son prédécesseur dans la même charge, les grands muftîs de Jérusalem et de Palestine, de Bulgarie, Kosovo et
Malaisie, le Sultan de Sokoto (Nigéria), le doyen de la Faculté de théologie de
al-Azhâr e le Sheikh de l’Université
az-Zîtûna de Tunis, parmi les plus influentes institutions islamiques. La
valeur de la lettre n’est point amoindrie par le fait qu’il y a des signataires
qui se présentent comme des représentants des musulmans d’Italie et de
Belgique, mais qui sont des parfaits inconnus.
Dans cette lettre, le leader du califat n’est plus “quelqu’un
qui n’a pas étudié l’islam” : la lettre s’adresse à lui en l’appelant
docteur, ce qu’il est en effet, ayant obtenu un PhD ès sciences islamiques. Ses
adeptes ne sont jamais appelé terroristes, mais toujours “combattants” ou “disciples”.
Le ton de toute la lettre, qui condamne les actions et les méthodes de l’État
Islamique en se référant au Coran et à la tradition islamique, est semblable à
un appel à des “camarades qui se trompent”. Ce ton est celui qui s’adapte à la sensibilité d’un nombre non insignifiant – quoique non majoritaire – de musulmans dans le monde entier. Il est facile dans le web de tomber sur les prêches de certains imâms de grandes mosquées, de Vienne à Berlin, du Caire à Gaza et à Jérusalem, qui ont déploré qu’on ait conclu une alliance avec les infidèles, ont exhorté les fidèles à se méfier des médias occidentaux et de leurs comptes-rendus des présumées atrocités commises par l’État Islamique, qui auraient été exagérées, et ont invité à distinguer entre la validité du projet de l’État Islamique, qui a “libéré” Mossul, et quelques excès qui ont pu être commis occasionnellement. Beaucoup ont, selon un réflexe conditionné, tout reconduit à un “complot sioniste”.
(Traduit de l’italien par Giuseppe Di Salvatore)
06/01/2015
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