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Interviews/14
L'espÉrance Ne meurt pas/1
Interview
avec Mgr Bruno Ateba Edo, évêque de Maroua-Mokolo
* Mgr Bruno Ateba, vous avez été
ordonné évêque de Maroua-Mokolo il y a trois ans, quelques semaines avant le
début officiel des opérations militaires contre le groupe Boko Haram.
Depuis lors, votre diocèse est affecté par le conflit asymétrique qui oppose le
Cameroun au terrorisme islamique. Pouvez-vous partager avec nous les événements
les plus marquants de vos premières années de ministère épiscopal ?
D'emblée, merci
pour votre soutien spirituel et l'attention toute particulière que vous avez
envers ma modeste personne et notre diocèse de Maroua-Mokolo.
Le début de
mon ministère épiscopal coïncide avec l'enlèvement de mes trois missionnaires de
la
A partir de
l'été 2014, notre diocèse a été confronté à l'accueil des déplacés de guerre et
des réfugiés nigérians dans le camp
de Minawao (Paroisse de Zamay) dans le
département du Mayo-Tsanaga, situé à 70 km de Maroua. Les populations
civiles nigérianes affluaient massivement pour se réfugier au Cameroun. Notre diocèse,
de par sa proximité géographique avec le Nigéria, reste en effet la principale
destination de ces réfugiés. Les paroisses frontalières[1]
constituaient la porte d'entrée et les locaux des missions étaient les
principaux sites des réfugiés nigérians. Ils occupaient chapelles, écoles,
salles paroissiales, centres de santé, etc. Le camp des réfugiés nigérians de Minawao abrite actuellement plus de 50.000 personnes. Heureusement, le diocèse de Maroua-Mokolo n'est pas le seul à les accompagner. Le 5 mars 2015, une délégation de la Conférence épiscopale des évêques du Nigeria, dirigée par l'évêque d'Umuahia, président de la Fondation Caritas du Nigeria, Lucius Ugorji, a visité le camp de Minawao et des dispositions concrètes, y compris l'envoi d'abbés nigérians, ont été prises en vue d'un meilleur suivi.
J'ai confié
le diocèse à la miséricorde divine. Je vous demande de prier pour nous afin
que, par la miséricorde de Dieu, la paix revienne enfin.
Le mois de
juillet 2015 connaît une nouvelle étape dans l'instabilité de la Région :
l'explosion de
Ces
événements violents frappent les populations les plus faibles, toutes religions
confondues, contribuant à fragiliser la cohabitation pacifique qui a toujours caractérisé
notre région en dépit de sa riche diversité culturelle et religieuse. Ces
attentats terroristes sont souvent très peu connus en Occident. Lorsque se
produisent des événements tragiques comme ceux de Paris, de Bruxelles ou de
Manchester, le monde entier en parle. Ici, des attaques similaires ou plus
graves encore se produisent tous les jours, mais personne n'en est au courant.
* Qu'avez-vous éprouvé en tant que
pasteur, en voyant tant de missionnaires, de religieux et de religieuses
quitter le diocèse l'un après l'autre, de gré ou de force sur ordre de leurs
consulats et de leurs supérieurs hiérarchiques ?
Le départ de
missionnaires, de religieux et religieuses qui travaillent dans "la zone
rouge", celle proche de la frontière avec le Nigéria, a été et demeure pour
nous une situation très difficile. Nous revivons le Vendredi Saint avec
plusieurs communautés chrétiennes qui ont vu le départ brusque de leurs
pasteurs, religieux et religieuses avec qui ils avaient cheminé depuis de
longues années.
Tout cela, bien
sûr, est lié à l'insécurité et plus particulièrement aux multiples enlèvements d'étrangers
perpétrés par Boko Haram depuis 2013
jusqu'en 2014 (missionnaires, touristes ou coopérants) : des français, des
italiens, des canadiens, des chinois ne furent pas épargnés.
Heureusement,
tous ont eu la vie sauve, mais au prix de longues et harassantes négociations
Nous gardons
néanmoins l'espérance – raison pour laquelle, nous prions et discernons, en
sollicitant au préalable comme il est de notre devoir, les avis et les conseils
des uns et des autres, notamment des autorités ecclésiastiques, diplomatiques,
sécuritaires et de défense, de mes proches collaborateurs – pour le retour de
nos missionnaires.
La légende des
quatre cierges de l'Avent attribuée au Pasteur luthérien allemand Johann
Heinrich Wichern (1808-1884) nous encourage. Quatre cierges étaient allumés. Tout
était calme. Tellement calme que l'on entendait comment les cierges se
mettaient à parler entre eux. Le premier cierge dit en soupirant : "Je me
nomme Paix. Ma lumière brille, mais les hommes ne cultivent pas la paix. Ils ne
veulent pas de moi". Sa lumière baissa de plus en plus et finit par
s'éteindre complètement.
Le deuxième
cierge dit en vacillant : "Je me nomme Foi, alors je suis de trop. Les
hommes ne veulent rien savoir de Dieu. Cela n'a plus de sens que je reste
allumé". Un courant d'air souffla à travers la salle et la bougie
s'éteignit.
Sans élever
la voix où se lisait la tristesse, le troisième cierge prit maintenant la
parole : "Je me nomme Amour. Je n'ai plus de force pour briller. Les
hommes me mettent de côté. Ils ne voient qu'eux-mêmes et pas les autres qui les
aiment en réalité. Un dernier flamboiement et cette lumière
Alors le
quatrième cierge prit aussi la parole et dit : "N'aie pas peur ! Tant que
je suis allumé, nous pouvons nous aussi allumer à nouveau les autres cierges.
Je me nomme Espérance". Avec une bûchette, l'enfant prit la lumière de ce
cierge et alluma les autres cierges. Ce conte exprime bien la réalité que nous vivons dans notre région. La paix entre les hommes et les communautés, la foi en Dieu, l'amour du prochain et du bien commun sont durement mis à l'épreuve par la guerre et la terreur, mais l'Espérance fondée en Jésus Ressuscité ne meurt pas. Nous sommes à l'œuvre pour la soutenir dans les cœurs des personnes et des communautés (Propos recueillis par Franco Paladini)
[1] Il s'agit plus précisément des paroisses
suivantes : Kolofata, Aissa-Hardé, Amchidé, Kourgui, Mora, Makoulahé,
Gudjimdélé, Tokombéré, Nguetchéwé, Zhéléved, Mutskar, Ouzal, Koza, Djingliya,
Ldubam-Tourou, Mokolo-Tada, Mboua, Rhumzou, Mogoddé, Guili et Bourha.
10/07/2017 |