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Interviews/18
MGR
HENRI TEISSIER : "RIEN N'AURAIT
ÉTÉ PLUS FACILE QUE DE M'ASSASSINER"
* Mgr Henri Teissier,
comment avez-vous vécu votre arrivée en Algérie ?
Notre situation est assez particulière,
puisqu'en 1962, à l'indépendance de l'Algérie, un million
* Quelle relation
entreteniez-vous avec les non-chrétiens ?
En 1966, j'étais chargé de créer un
centre pour le dialogue islamo-chrétien et l'enseignement des langues de
l'Algérie ‒ arabe littéraire, arabe dialectal, berbère. Ce centre existe
toujours et il a multiplié les initiatives, les conférences, les rencontres qui
nous mettaient en amitié ou en collaboration avec les Algériens. Certains
d'entre nous se sont même engagés de façon tout à fait remarquable, comme un
prêtre qui vient de mourir il y a trois mois, et qui s'est spécialisé comme
traducteur en français des livres écrits par des Algériens en arabe.
* Quel était votre rôle en
tant qu'évêque ?
Que ce soit comme évêque d'Oran, à
partir de 1973, ou à Alger, à partir de 1981, mon travail
*
Comment avez-vous résisté ?
Entre 1992 et 1999, nous avons vécu
sous la même menace que tout le reste de la population. Puisqu'on assassinait
les fonctionnaires, les professeurs de langues étrangères, les écrivains, les
artistes, parce que les extrémistes considéraient que leur présence n'était pas
tolérable dans ce pays musulman. C'est dans ce contexte que nous avons décidé
de rester. Chacun d'entre nous savait le matin en partant qu'il pouvait être
attaqué et disparaître dans la journée. Moi je descendais de la maison
diocésaine jusqu'à l'archevêché, tout seul, à travers les rues, rien n'était
plus facile que de m'assassiner. On ne savait pas à l'avance qui allait être
visé. Mais plusieurs d'entre nous ont été visés dans un lien concret avec
l'eucharistie.
*
C'est-à-dire...
Les augustines espagnoles, les deux
premières religieuses à être assassinées, l'ont été au moment de sonner à la
porte de l'église de leur quartier pour aller à la messe du dimanche. Les deux
suivantes, une Maltaise et une Française, ont été assassinées au moment de
sortir de la messe du dimanche. Deux autres religieuses l'ont été en attendant
leur taxi. Une laïque en allant à l'église. Chacun d'entre
* Avec cette menace omniprésente, comment ne pas
succomber à la peur ?
On ne vivait pas avec la peur de
mourir, on vivait avec les tâches que l'on avait à faire. On ne restait pas
pour attendre la mort, on restait pour vivre et travailler avec les Algériens.
C'est peut-être un peu ce que l'on pourrait regretter dans le film Des
hommes et des dieux, qui par ailleurs a donné une illustration remarquable
de ce que vivaient les moines. Beaucoup de personnes qui ont vu le film
s'interrogeaient : "Mais pourquoi ne partent-ils pas ?". En fait, il
n'y avait pas que quelques dizaines de chrétiens qui étaient menacés, il y
avait 30 millions d'Algériens qui étaient menacés. Ils ne s'en allaient pas,
parce qu'ils avaient été mis dans cette situation de fidélité à l'Algérie et
qu'ils ne voulaient pas, à l'heure du danger, prendre de la distance. À
plusieurs reprises, la police leur a proposé de se réfugier dans la ville de
Médéa, dans un hôtel ou à la nonciature. Toutefois, ils n'étaient pas là pour
se réfugier, mais pour vivre avec la population de Tibhirine.
*
Alors que les menaces contre les chrétiens étaient quand-même réelles...
Le GIA (groupe islamique armé) nous a
écrit une lettre, que j'ai reçue moi-même à la maison diocésaine d'Alger,
envoyée le 29 octobre 1993, dans laquelle ils disaient : "Tous ceux qui ne
seront pas partis avant le 1er décembre seront assassinés". On
a demandé à tous les membres de la communauté chrétienne de se mettre en
réflexion, entre eux, mais aussi seuls devant Dieu, pour assumer leur décision.
La quasi-totalité des religieux et religieuses, et beaucoup de laïques
*
Et les problèmes sont arrivés...
Le premier groupe qui reçut la visite
de ce GIA, ce sont les moines de Tibhirine, dans la nuit du 24 décembre 1993.
Je suis monté tout de suite pour être témoin de l'échange des moines entre eux.
Au départ, ils envisageaient de quitter les lieux, parce qu'ils étaient isolés
dans la montagne, et après ils se sont dit : "Nous, nous pouvons partir,
mais le village ne peut pas partir. Ils n'ont pas d'autres lieux où aller".
Et je me suis dit : "Que serait-il devenu si nous étions partis et que,
par notre faute, les villageois se soient fait attaquer à notre place. Nous,
nous sommes mis à l'abri et ce sont les familles du village qui en aurait payé
le prix ?". Nous avons beaucoup souffert la mort de nos sept trappistes,
mais si cela avait été une violence contre le village... Or dans beaucoup de
villages, c'est effectivement ce qui s'est passé.
*
Et à Alger, vous avez obtenu une protection ?
En 1996, l'État algérien m'a mis une
escorte, et ce, jusqu'à la fin de mon mandat, en 2008. Cela dit, pendant les
années de violence, la police n'aurait pu faire grand-chose. Elle qui avait
déjà de la peine à se protéger elle-même.
Algérie
: les chrétiens et les musulmans à l'heure actuelle
*
Aujourd'hui, Mgr Teissier, est-ce que les chrétiens sont toujours menacés ?
Sur l'ensemble du territoire, on ne
peut pas dire qu'ils le soient spécialement. Si déjà, ce serait peut-
*
Aujourd'hui, un chrétien algérien a autant de chance qu'un musulman de trouver
du travail ?
Il faut distinguer : la majorité des
chrétiens sont des étrangers. Par conséquent, ils ont les limitations des
étrangers. Certains postes de travail sont acceptés et d'autres ne le sont pas
pour les étrangers. Pour les chrétiens algériens, cela dépend principalement de
leur famille et de leur voisinage. Dans la région de Kabylie, par exemple, les
chrétiens peuvent se réunir sans problème pour prier. Dans d'autres régions où
l'attachement à l'islam est plus marqué, c'est plus difficile. Il est évident
que lorsqu'il s'agit de responsabilité de type éducative, un musulman qui s'est
converti n'est pas en bonne posture pour enseigner à des élèves musulmans.
*
Y a-t-il des résultats concrets en matière de projets interreligieux ?
Dans les trois diocèses d'Algérie, il y
a des églises symboliques : Notre-Dame d'Afrique pour le
*
Quelle est la diversité des évolutions de l'islam actuel ?
Parmi les réalités qui sont nouvelles,
il y a la naissance de courants musulmans divers. Numériquement, ce sont les
courants qui viennent du Moyen-Orient qui rejoignent le plus grand nombre de
gens, et en particulier des jeunes. Le ministre des affaires religieuses de
l'Algérie intervient souvent pour dire que le Maghreb a une tradition musulmane
qui lui est propre, qui a été en particulier illustrée dans la période de
l'islam de Cordoue. Il n'y a pas de raisons de chercher sa lecture de l'islam
au Moyen-Orient et il faudrait revenir au patrimoine propre au Maghreb. Un
autre courant qui s'est développé depuis une vingtaine d'années et qui a sa
signification, c'est celui des confréries religieuses. C'est un courant
musulman qui s'est efforcé d'approfondir la vie de l'islam à partir du
patrimonial mystique de l'islam.
*
Ce sont des groupes de soufis ?
Oui, nombreux sont ces groupes à se
rattacher à des fondateurs divers ‒ comme dans le
Grégory Roth
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10 septembre 2018
24/09/2018 |