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L'héritage de Mgr Zoa
L'AFRIQUE FACE AU DÉFI DE LA MODERNITÉ/2
Homélie de feu Mgr Jean Zoa
Messe pour les sinistrés de Nsam
Cathédrale
Notre-Dame des Victoires - Yaoundé
22 février 1998
Célébrons le deuil Chers Frères et Sœurs,Chers Fils et Filles, Un "deuil" traditionnel n'est pas jugé sincère s'il ne comporte pas un examen de conscience et un acte de conjuration communautaire... Avant de maudire l'emplacement où tu t'es étalé en chutant, identifie et examine, d'abord, attentivement, l'endroit où tu as achoppé et trébuché, c'est la sagesse de nos ancêtres : Awu tege, Kaan, ai ndon. Un décès cache toujours une cause, une explication, un message. Cette conviction traditionnelle est souvent utilisée abusivement. Chaque intervenant s'efforçant de s'innocenter et de trouver un coupable car chacun cherche "son bouc émissaire".
C'est-à-dire que, d'une certaine façon : 1. Les événements quotidiens semblent rappeler à l'homme que le jugement est seulement suspendu ; instinctivement, dès que nous nous trouvons devant un grand malheur, nous pensons à une condamnation ou à la culpabilité de quelqu'un. 2. Et cela nous rappelle aussi, que nous le voulions ou non, que la mort peut nous surprendre. Nous tous, nous en sommes là ! En tout cas, même sans le vouloir, l'homme est conscient de cheminer vers un jugement. Il porte en lui-même un appel à la conversion... Essayez désormais de faire attention à ce réflexe de la peur, de la crainte devant un malheur. N'est-ce pas cette leçon que semblent dégager les deux faits d'actualité, ces deux catastrophes rappelées par l'Évangile que nous venons de lire ou d'entendre ? A. Face au malheur nous cherchons un bouc émissaire Comme les Juifs, nous sommes portés à attribuer à Dieu les malheurs qui nous arrivent pour nous justifier nous-mêmes et pour donner tous les torts aux autres. Nous sommes surpris, nous sommes pris par la peur, il faut tout de suite trouver des coupables, des gens à accuser, des boucs émissaires. La répression sanglante de Pilate contre les Galiléens rebelles ne doit pas le justifier ni signifier que ceux-ci étaient plus coupables que les autres... Des Juifs étaient en train d'offrir un sacrifice dans une partie du Temple et parmi eux il y avait des gens reconnus rebelles politiques. Pilate, chargé de l'ordre, vient sévir et les tue tous : et ceux qui étaient là pour la rébellion, et ceux qui étaient là pour le sacrifice. C'est pourquoi on nous parle de mêler le sang des victimes qu'on était venu offrir au sang des rebelles. Nous restons hébétés : ces gens sont venus pour offrir à Dieu des sacrifices et Dieu les laisse massacrer ! C'est un phénomène continuel et qui produit toujours les mêmes angoisses. Un autre exemple : on vient annoncer à Jésus la chute d'une tour ; la chute de la tour de Siloé ne signifie pas que les 18 victimes, qui sont mortes écrasées, avaient péché plus que les autres. Les 18 qui sont morts étaient les plus mauvais, disons-nous ! B. Jésus nous invite à nous occuper de nos propres péchés en conscience, de nos fautes, plutôt que des torts des autres... C'est toujours notre grande tendance, il faut que nous puissions pointer quelqu'un : "C'est lui le responsable !" Il faut l'accuser, si c'est nécessaire l'envoyer au désert en l'accablant !
Oui, ce sont les péchés de l'humanité qui sont à l'origine de tous les maux... C. Mais les calamités particulières n'indiquent pas des responsabilités individuelles. Ce ne sont pas les habitants, les riverains du Lac NYOS qui sont responsables de l'explosion. Les habitants de NSAM ne sont donc pas plus pécheurs que ceux des autres quartiers de Yaoundé. Nous sommes tous pécheurs. Frères et sœurs, convertissons-nous. Cette conversion consiste dans cet examen de conscience auquel je vous ai invités dès le départ, c'est lui qui constitue une sorte d'amorce de leçon. CONCLUSION : Quelles leçons allons-nous retenir de cet événement, de cette célébration ? I. Apprenons dans quel sens nous devons attribuer à Dieu directement, puis aux hommes, les calamités et les catastrophes qui s'abattent périodiquement sur l'humanité. Notre question est toujours là : Qui a péché ? Ce n'est pas le bon réflexe !
II. Que NSAM devienne, pour nous Camerounais, le rappel du devoir vital, du devoir non facultatif d'accepter et d'assumer la modernité avec ses exigences... Nous ne sommes pas libres d'accepter la modernité ! Si nous refusons en 1998 la modernité et ses lois, il vaut mieux que nous acceptions carrément et franchement le suicide massif et collectif. Nous construirons nos villes, qui sont une fatalité maintenant, ou bien elles nous engloutiront et nous étoufferont. III. Cela suppose que nous intégrions des réflexes rationnels dans nos comportements, dès l'École Maternelle... Il faut intégrer les réflexes : cela signifie qu'ils doivent entrer dans nos coutumes ! Qu'on n'entende plus dire : "Il fait le Blanc !" J'ai dit, dans certaines tournées, qu'ils iront directement en enfer les Africains et Africaines qui, même en s'amusant, disent : "Le Noir ne meurt pas de saleté !" Ils iront dans "mon" enfer ! IV. Cela exige encore, une lutte habituelle, continuelle, acharnée, communautaire et solidaire contre la misère et la pauvreté. Depuis des années, nous insistons pour expliquer les contre-sens qu'on a pu faire dans la catéchèse en parlant de la pauvreté évangélique : la pauvreté évangélique, c'est celle que nous prêche Jésus, quand Satan lui tend une pierre et lui dit : "Dis une seule parole et cette pierre deviendra du pain !". Jésus dit : "Non, c'est contre la loi, la loi de Dieu, celle du travail ! Le pain s'obtient : par le travail agricole, par toutes les transformations, par la fabrication du pain, par la cuisson du pain... et non pas être là à dire : "Jésus, dis un mot et cette pierre deviendra du pain !". C'est contre la nature. Les lois de la nature, elles sont aussi des lois ! L'Afrique doit accepter que la pauvreté, la misère sont contre le plan de Dieu. Et Jésus explique que c'est la raison pour laquelle ceux qui peuvent travailler et produire, doivent le faire en grande quantité, pour prendre en charge ceux qui ont des handicaps. La pauvreté, la misère sont contre le plan de Dieu ! Quand vous voyez ce quartier : enfants et grandes personnes qui se ruent pour ramasser de l'essence ! Mes frères, est-ce que c'est cela la dignité : le dzin dont parlaient nos ancêtres, même dans leur manque ? C'était un devoir pour un homme, pour une femme d'être plein de dzin ! Le mot dzin signifie la dignité. Dès qu'il y a la moindre chose qui ne coûte rien, on se précipite ! NON ! La dignité, il faut la créer ! Aujourd'hui le Cameroun est menacé de la perdre, on se laisse aller, mes Frères ! On se laisse aller, et c'est comme cela que nous allons être surpris par la fin du monde qui va commencer par chacun de nous ! Donc : nous devons continuer une lutte acharnée, une lutte communautaire, une lutte intelligente contre la misère et la pauvreté. V. On vante la joie de vivre de l'Africain mais elle ne doit pas faire que nous nous amusions avec des choses dangereuses.
VI. La joie, en nous amusant, cela ne suffit plus dans les communautés actuelles. Il faut un esprit d'autodiscipline moderne. Camerounais, regardez ce que nous sommes devenus ! Nous nous moquons royalement de la discipline. Heureusement qu'il n'y a plus de feux rouges. Et tout le monde s'en amuse. Dans un monde moderne, industriel, le monde de notre temps, le réflexe rationnel, le réflexe scientifique, doit s'épanouir. Tous les actes que nous posons sans cela sont des actes d'homicide. Mes frères, dès l'enfance, ces réflexes doivent s'acquérir, d'où l'importance de l'école. Que Marie, la Mère des Douleurs, mobilise tous les regroupements, il y en a dans tout mon diocèse, dans notre Église. Ce sont tous ces regroupements-là, qui remplacent toutes les rencontres de sagesse qu'on pouvait avoir autrefois, c'est à eux, qu'au nom de Marie, nous devons recourir pour qu'ils diffusent cette doctrine de base sans laquelle nous allons au suicide. Nous qui sommes engagés dans les différents mouvements, le Créateur nous interpelle et nous dit :
25/03/2019 |