Approfondissements L'engagement de l'Afrique
Pour bien comprendre le message missiologique et pastoral d'Africae munus, il faut tout d'abord le situer dans l'ensemble du parcours du Synode, en partant des Lineamenta[3], en passant par l'Instrumentum laboris[4], jusqu'au cœur du débat synodal - de son Message final[5] uni aux Propositions des évêques. Nous ne soulignons pas ici uniquement une note méthodologique, mais surtout le fait que la finalité d'un synode n'est pas de produire des documents vite classés ; un synode demeure, en effet, un événement ecclésial polyphonique où chaque étape et chaque acteur apporte sa contribution originale. N'oublions d'ailleurs pas que le synode est un cheminement de conversion spirituelle, intellectuelle et pratique. De sa préparation à sa réception, sa réussite dépend de l'implication des fidèles dans la réflexion en contexte pastoral, l'implication des laïcs étant notamment d'un grand apport. L'échange constant avec le terrain des orientations théologiques du thème synodal - approfondies par les colloques et les publications promues par les diverses institutions académiques[6] - s'avère souvent fécond pour relancer la formation et la créativité pastorale. En outre, le magistère, les discours pastoraux prononcés par le Pape tout au long du cheminement synodal, demeurent un lieu théologique incontournable pour une lecture pastorale des acquisitions et des orientations majeures de cet événement. En effet, le voyage de Benoît XVI en Afrique, lors de la remise de l'Instrumentum laboris, fut un kairos, un moment fort de l'implication du peuple de Dieu à cette préparation synodale du point de vue pastoral[7]. Pensons à l'insistance de Benoît XVI sur l'Église famille de Dieu à réaliser, en contemplant l'image de St Joseph et de la Sainte Famille de Nazareth ; pensons à l'invitation constante du Pape à une fraternité au-delà des ethnies, puisque - soulignait-il - le même sang de Jésus Christ circule dans nos veines : c'est cette dimension de fraternité qu'on doit vivre notamment dans les Communautés Ecclésiales Vivantes. Ces aspects, annoncés lors de son voyage, nous les retrouvons mis en valeur par le Pape dans Africae munus, où il exprime dès son introduction l'importance de la famille comme "église domestique" et invite à vivre en église comme famille et comme fraternité dans la solidarité[8]. Pour un ressourcement spirituel : Confiance ! Lève-toi, Église en Afrique... La présence réconfortante du Pape à Yaoundé, au milieu de toutes les composantes du peuple de Dieu et du "monde de la souffrance" , en effet, fut aussi un signe de la mission d'espérance de ce synode, voulu comme un temps de ressourcement spirituel et théologique, voulu aussi comme un moment favorable pour se débarrasser du fatalisme, un moment permettant de ne pas rester paralysé par les problèmes dont le Continent est saturé. Le synode a été une invitation pressante à entreprendre à nouveau le chemin d'évangélisation par le courage qui vient de l'Esprit Saint : Confiance ! Lève-toi...
Voilà en bref le message de Benoît XVI à la clôture du Synode[9], repris par le Message des évêques et réitéré par Africae munus[10]. Si l'icône évangélique du premier synode avait été celle de l'homme frappé Pour le Pape, en effet, c'est un impératif évangélique que d'accueillir les problèmes comme des défis lancés à "notre imagination, notre intelligence, notre vocation à suivre sans concession les pas de Jésus-Christ, à rechercher Dieu, ΄Amour éternel et Vérité absolue΄"[12]. Ce sera finalement dans les églises locales, comme le souligne Africae munus, que les grandes visions deviendront des idées-clés pastorales et des concepts opératoires, fermes propos et lignes d'actions concrètes permettant à l'annonce du Christ d'atteindre les personnes, de vivifier les communautés, et d'agir en profondeur par le témoignage des valeurs évangéliques sur la société et sur la culture[13]. Un approfondissement d'Ecclesia in Africa Nous venons de souligner l'importance du cheminement synodal, considéré comme un seul événement ecclésial qui s'enracine, par sa réception, au cœur du peuple de Dieu. En outre, il est nécessaire de souligner la continuité des travaux synodaux avec l'Exhortation Ecclesia in Africa de 1995, mise en exergue depuis les Lineamenta et confirmée par Africae munus[14]. L'engagement pour la nouvelle évangélisation, en effet, fut déjà au cœur des préoccupations de la première Assemblée Synodale pour l'Afrique[15]. Au premier synode africain, les évêques avaient traité du thème de l'évangélisation en Afrique comme d'un processus dynamique et global, par l'approfondissement de cinq sous-thèmes : annonce, inculturation, justice et paix, dialogue, mass-média. Parmi ces différents sujets abordés, il est à remarquer que le nombre d'interventions des évêques au synode de 1994 a montré un équilibre de l'intérêt porté aux thèmes majeurs de l'inculturation ainsi que de la justice et de la paix. Faire marcher ensemble les deux dimensions, en effet, signifiait ne pas enfermer l'Afrique dans une attitude de revendication identitaire, mais lui permettre de relever les défis d'une évangélisation qui prônait une véritable reconstruction du Continent, qui encourageait la formation des laïcs[16] à la doctrine sociale de l'Église et leur promotion intégrale, culturelle et socio-économique[17]. La formation était donc au cœur de la nouvelle évangélisation, puisque l'homme était considéré à juste titre comme le "protagoniste du développement"[18]. Une orientation plus pragmatique et éthique Après plus de dix ans de changements culturels accélérés avec le vent de la mondialisation dans ses apports positifs et les effets de la crise, compte tenu de la difficulté permanente de réaliser une promotion humaine intégrale et compte tenu des dérives des plans de développement socio-économique ainsi que de l'absence d'un projet politique de renaissance de l'Afrique, le choix du thème de la justice et de la paix pour le Second Synode pour l'Afrique fut salué avec soulagement par de nombreux théologiens et opérateurs pastoraux puisque l'insistance sur la dimension éthique de l'évangélisation semblait d'une importance capitale, encourageant davantage les chrétiens à s'engager dans la société, par une réception active du Concile Vatican II, notamment de Gaudium et spes.
Une orientation pragmatique a marqué la démarche synodale. Le même sous-titre du thème choisi: "Vous êtes le sel de la terre... vous êtes la lumière du monde" (Mt, 5,13-14) montrait bien l'orientation pragmatique et éthique choisie par le synode ; "Mathieu, en effet, s'adressait à des chrétiens qui, par peur ou par tiédeur, ne témoignent pas suffisamment de leur foi. Avec la double métaphore du sel et de la lumière, l'évangéliste les invite à un engagement modeste et audacieux, par enfouissement et par rayonnement"[20]. Le Pape l'affirme lui-même fort opportunément dans Africae munus: "À travers Jésus, il y a deux mille ans déjà, Dieu a apporté lui-même le sel et la lumière à l'Afrique. Depuis lors, la semence de sa présence est enfouie dans la profondeur des cœurs de ce cher continent et elle germe peu à peu au-delà et à travers les aléas de l'histoire humaine de votre continent"[21]. Dimension éthique et spiritualité missionnaire Le deuxième synode a posé la question suivante, qui est spirituelle et éthique en même temps : "Seigneur, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?" (Mt, 16,19). Cette question, en effet, devient ensuite réflexion et projet : "Que dois-je faire pour sortir l'Afrique de ce marasme ?".
Depuis les Lineamenta jusqu'à Africae munus, en effet, nous constatons qu'on a fortement insisté sur la spiritualité, l'appel à la sainteté, la priorité du témoignage dans l'évangélisation et la cohérence de la vie personnelle et ecclésiale ad intra pour annoncer les valeurs évangéliques ad extra, à la société. Le rôle de "témoignage prophétique"[23] des religieux est fondamental dans cette recherche de fidélité et de cohérence évangélique entre la vie personnelle et communautaire et l'activité missionnaire. Les religieux sont appelés, les premiers, au milieu du peuple de Dieu, à vivre cette tension à la sainteté et à reconnaître leurs manquements et le besoin d'une conversion constante, sans hermétisme[24]. Évangélisatrice, en effet, l'Église commence par s'évangéliser elle-même. Cela passe par une conversion et un renouvellement constants, pour évangéliser le monde avec crédibilité[25]. ________________________
[1] Cf. Benoît XVI, Exhortation Apostolique post-synodale Africae munus (19 novembre 2011) (dorénavant AM) in www.vatican.va |