Approfondissements
FERMETURE DES ÉGLISES DE RÉVEIL AU CAMEROUN/2
L’ambigüité du rapport religion-politique
Une nouvelle configuration de l’espace social ![]() Au-delà des polémiques de ces dernières semaines sur la fermeture et la réouverture de ces églises de réveil, il est intéressant de noter comment ce mouvement du pentecôtisme en Afrique suscite l’attention de tous ceux qui suivent les mutations du champ politique qui surviennent dans la société africaine. Car “c’est bien parce que le champ religieux, comme disait F. Bayart, est un lieu de changement social qu’il est simultanément un champ de recomposition politique”[1].
Sur le site très officiel du Ministère de
la défense français, sont publiées, régulièrement,
des Études Prospectives et Stratégiques
qui répondent aux besoins de la Délégation aux affaires stratégiques,
dans les domaines politico-militaires, géopolitiques, économiques et sociaux
commandées à des instituts de recherche.
Noyée entre les problématiques de la Corée
du Nord, de Cuba, du Venezuela ou encore des opérations de maintien de la paix
de l’ONU, l’étude de l’anthropologue Mélanie Soiron Fallut, publiée en juillet
2012, Les églises de réveil en Afrique
centrale et leurs impacts sur l’équilibre du pouvoir et la stabilité des Etats
: les cas du Cameroun, du Gabon et de la République du Congo, attire l’œil
du visiteur. “La France – explique l’auteur en parlant du cas du Cameroun – en tant que premier partenaire commercial de ce pays (en 2011, 110 filiales et 200 entreprises françaises appartiennent à des ressortissants français, dont certaines sont en situation de monopole), et associée privilégiée aussi du Gabon et du Congo dans des relations diplomatiques et marchandes, doit tenir compte du poids que prennent les nouveaux acteurs religieux, issus des églises de réveil. S’ils sont loin d’être majoritaires, c’est en tant que minorité agissante et efficiente que les fidèles peuvent se prévaloir d’un rôle moteur dans l’évolution sociopolitique à venir de ces trois pays”[2]. ![]()
En circonscrivant les lignes de solidarité
ou d’exclusion, les schèmes d’identification politique, le contenu de la
rationalité étatique et économique, l’esthétique des styles de vie, les
activités religieuses – affirme Bayart – contribuent en tant que telles à la
configuration de l’espace public et donc politique[3].
Au Cameroun, au sein d’un régime politique
dominé depuis plus de 30 ans par un parti et son chef, mêmes si les églises de
réveil semblent être un moyen pour l’individu de créer les conditions idéales
de sa propre vie, sachant que l’investissement en politique n’aura que peu
d’effets, il n’en reste pas moins vrai que le message qu’elles déploient
constitue un soutien de poids au pouvoir en place, lorsqu’il soulignent la
sacralité des autorités, et le fait qu’il faille voter pour elles, celles-ci
ayant été établies par Dieu lui-même.
Par ailleurs, affirme Soiron Fallut, selon
les pasteurs rencontrés, les églises de réveil “refusent” la démocratie, car ce
système politique n’est que “luttes et bagarres”. Elle apporterait la division
car chaque individu “tire la couverture à soi”. Par conséquent, ce mouvement
religieux n’encourage pas la mise en place d’un système démocratique. En effet,
la démocratie n’est pas la volonté de Dieu, “si l’homme n’avait pas échoué dans
son parcours, nous serions dans un régime théocratique”.
Les born
again doivent donc prier pour que soit donnée au chef de l’Etat la force de
gouverner, car celui-ci serait attaqué par Satan au sein de ses fonctions. En
effet, des puissances invisibles tenteraient de manipuler les décisions du chef
de l’Etat. De sorte que même s’ils ne sont pas toujours d’accord avec les
décisions de ce denier, les pasteurs et les fidèles prient pour lui, car Dieu a
décidé que, pour l’heure, cette situation devait perdurer. Dans la mesure où “Dieu
met et Dieu enlève, c’est à lui de décider”[4].
Les rapports avec le champ politique ![]()
L’église du réveil vote donc pour le
pouvoir en place, et à chaque élection, les pasteurs incitent les camerounais à
se rendre aux urnes et ils prient aussi pour la paix; le dimanche, la première
prière qui est effectuée dans ces églises est ainsi une intercession pour la
nation, pour la paix durable. Le pasteur Tsala Essomba du “Ministere international Va et raconte”, a désormais l’habitude de commencer ses sermons par une prière pour les autorités : “Que le nom du Seigneur Jésus soit glorifié à partir du Palais présidentiel, dans les ministères et aussi les organismes, à l’Assemblée nationale; le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire. Que tous ceux qui travaillent à l’intérieur de ces trois instances soient protégés par la puissance du Saint-Esprit. Que toutes paroles de malédictions prononcées par qui que ce soit, pour te détruire, toi qui travaille là-bas, que toutes ces paroles de malédiction soient renversées au nom de Jésus-Christ… Que la puissance du Saint-Esprit protège l’autorité centrale”[5].
Ce n’est peut-être pas par hasard que dans
la foulée des interdictions d’une centaine d’églises du réveil, celle du
“Ministère international Va et Raconte” du pasteur Tsala Essomba ait été
épargnée, même si elle ne figure pas parmi les églises autorisées au Cameroun[6].
Certes, ces manœuvres de soutien au pouvoir
sont analysées par les observateurs de la scène religieuse comme un moyen de
ces églises d’exister sur la scène économique et sociale, d’être reconnues, de
pouvoir accéder à certaines fonctions, ou encore d’éviter des contrôles
financiers trop poussés.
D’autres observateur n’hésitent pas à
remarquer que face aux rapports souvent houleux du pouvoir avec les Eglises
traditionnelles, surtout catholique, le régime a de plusieurs façon encouragé la
multiplication des églises dans le but de mieux disperser les croyants.
De toute façon, il est indéniable que même
si certains individus s’écartent du politique, et tentent par le sacrifice et
le salut venant du ciel de trouver les moyens de transformer leurs vies, le
politique ne peut ne pas tenir compte de l’ampleur du phénomène et de ses
implications au niveau de la population, c’est-à-dire de la base électorale.
A l’heure où les églises se trouvent dans
tous les quartiers de la capitale ainsi que dans les villages, note Soiron
Fallut, certains hommes politiques, sans se déclarer publiquement pentecôtistes
ou évangélistes, utilisent toutefois ces églises afin d’obtenir une assise
populaire, les finançant afin d’émerger politiquement. ![]()
Parallèlement, ces églises voient leurs
effectifs augmenter, lorsqu’un notable y est attaché, de nouveaux membres s’y
rendant afin de tenter d’entrer dans le cercle de relations de ce notable, et
ainsi avoir l’opportunité de régler plus facilement certains problèmes.
De toute façon, continue Soiron Fallut, si
jusqu’à la fin des années 1980, la politique fut considérée par les
pentecôtistes et évangélistes camerounais comme “le Diable”, située hors du
champ de Dieu, cette idée a progressivement évolué pour aboutir aujourd’hui,
non pas à une implication, mais à une position d’observateur et de commentateur
de la scène politique.
Quelques grandes églises pentecôtistes très
structurées (où il existe des superviseurs de districts, de régions, etc.) entretiennent
des rapports avec le pouvoir politique, notamment par le biais des personnages politiques
qui les fréquentent. Selon certains pasteurs, ces derniers exerceraient une
pression sur le gouvernement et l’administration afin de juguler la montée des
autres églises devenues des concurrentes dans l’offre des “biens de Salut”.
Moyennant quoi, l’Etat obtient un soutien tacite de ces églises, celles-ci
s’engageant officieusement à ne plus aborder de questions politiques, à moins
de soutenir le parti au pouvoir[7].
___________ [1] Religion et modernité politique en Afrique Noire. Dieu pour tous et chacun pour soi. Sous la direction de Jean François Bayart, Editions Karthala, Paris 1993, 305. [2] M. Soiron Fallut, Les églises de réveil en Afrique centrale et leurs impacts sur l’équilibre du pouvoir et la stabilité des Etats : les cas du Cameroun, du Gabon et de la République du Congo, in http://www.defense.gouv.fr/das/reflexion-strategique/etudes-prospectives-et-strategiques/eps-2010-2012, pag. 45. [3] Cf. Religion et modernité politique en Afrique Noire…, 310. [4] Cf. M. Soiron Fallut, Les églises de réveil en Afrique centrale…, 32-33. [5] M. Soiron Fallut, Les églises de réveil en Afrique centrale…, 34. [6] Cf. Cameroun - Interdiction des églises à Yaoundé : L’Eglise de Tsala Essomba épargnée, in www.camer.be [7] Cf. M. Soiron Fallut, Les églises de réveil en Afrique centrale…, 34-36.
28/09/2013
|