Droit canonique et cultures/22
CONFÉRENCES
ÉPISCOPALES/3
Après avoir exposé
la réalité institutionnelle des Conférences épiscopales et après en avoir
présenté synthétiquement les compétences, nous désirons ajouter quelques
réflexions théologico-pastorales qui nous permettent de mieux comprendre leur
nature et l'importance du rôle qu'elles sont appelées à jouer. ![]()
Les Conférences
épiscopales, nous l'avons dit, sont des regroupements d'Églises qui ont une
base socioculturelle commune ; elles ne sont pas des corps intermédiaires du
gouvernement hiérarchique de l'Église et ne constituent pas non plus un "pont"
entre la primauté du Pontife romain et l'Évêque diocésain.
Par droit divin, en
effet, aucun corps intermédiaire ne peut exister entre l'Église universelle et l’Église
particulière diocésaine. Cette dernière n'est pas une réalité partielle de l'Église ; en elle, il y a
une présence pleine de l'Église du Christ, dans la mesure où sont présents
l'acceptation de l'Évangile et des dons de l'Esprit, la célébration de l'Eucharistie
et le ministère pastoral[1]. L'Église de Dieu se réalise concrètement dans chacune des Églises particulières diocésaines ; la Constitution Lumen gentium stipule que "celles-ci sont formées à l’image de l’Église universelle, c’est en elles et par elles qu’existe l’Église catholique une et unique"[2]. Par conséquent, l'Église diocésaine n'est pas une manifestation partielle de l'Église, elle n’est pas simplement soumise à l'Église universelle[3], celle-ci doit être comprise à partir de ses actuations locales et se réalise effectivement dans la communion entre toutes les Églises[4].
D'un point de vue
théologique, les Conférences épiscopales ne peuvent pas être considérées comme
"Église" au même titre que chaque Église diocésaine.
Autonomie et solidarité
Bien qu’elles ne
soient pas des corps intermédiaires du gouvernement ecclésiastique,
l'importance du rôle des Conférences épiscopales ne peut être sous-estimée, en
particulier dans l’activité législative, au service du peuple de Dieu qui vit dans
le territoire de leur compétence. ![]()
À cet égard, on a
craint que les Conférences épiscopales ne parcourent aujourd'hui le même chemin
qui a conduit, dans l’ecclésiologie latine, à donner la priorité à l'Église
universelle, en occultant la réalité de l'Église particulière diocésaine. Ce
risque est d'autant plus réel du fait que les Conférences épiscopales ont
élargi leurs dimensions territoriales et leurs prérogatives jusqu'à une
dimension supranationale, menaçant l'espace d'autonomie de l'Évêque diocésain.
Il est clair que, dans
la vision du Code de droit canonique, les Conférences épiscopales n’exercent
pas leur rôle en s’opposant au pouvoir de l'Évêque. Elles peuvent représenter,
par contre, une "extension" du ministère pastoral propre de celui-ci,
de sorte qu’il puisse, en union avec les autres Évêques, l’exercer mieux.
La Conférence
épiscopale ne s’oppose pas à la potestas
ordinaire, propre et immédiate de l'Évêque diocésain, au contraire, elle la
rend plus efficace et permet à l'Évêque de mieux accomplir ses fonctions,
conjointement et solidairement avec les autres Évêques auxquels il est uni par
la proximité géographique. Le gouvernement du diocèse par l'Évêque et sa
participation à la Conférence épiscopale sont étroitement liés et
interdépendants.
L'accomplissement
correct du ministère épiscopal exige que celui-ci ne soit pas isolé, mais
exercé en collaboration avec les autres Évêques pour un enrichissement mutuel,
un échange d'expériences et des décisions disciplinaires communes.
Responsabilités dans la communion
D'un autre point de
vue, on a également objecté que la fonction législative des Conférences
épiscopales est exercée au fond, même si elle ne manque pas d'intérêt local, sur
des matières d'importance relative et leur pouvoir souffre, de fait, de sévères
restrictions.
Nous savons déjà
que les Conférences épiscopales ont le pouvoir d'émettre des décrets généraux,
administratifs et législatifs, dans les grands domaines que le Code a confiés à
leur droit complémentaire. Toutefois, ce pouvoir est soumis à des conditions précises,
aussi bien en ce qui concerne les matières relevant de leur compétence qu’en ce
qui concerne la procédure de prise de décisions. Quant aux matières, elles ne peuvent
légiférer que là où la loi universelle ou une décision du Saint-Siège le
prévoit. Quant à la procédure, les décrets portés en assemblée plénière, avec
une majorité de voix d’au moins deux-tiers, ne peuvent valablement être
promulgués qu'après la reconnaissance du Saint-Siège.
Certains auteurs
voient dans ces conditions, et surtout dans la nécessité de la reconnaissance (recognitio) du Saint-Siège, une limite
dans l’exercice de la responsabilité des Conférences épiscopales et ils interprètent
cette situation comme une soumission des Églises locales au Siège apostolique,
qui rendrait les Conférences épiscopales incapables de répondre aux besoins
pour lesquels elles ont été créées. ![]()
Sans aucun doute,
cette reconnaissance du Siège apostolique ne doit pas être considérée comme une
simple formalité. C'est une conditio sine qua non et elle donne force de loi
aux décisions des Conférences épiscopales, bien que celles-ci restent quand
même des décisions de la Conférence et ne se transforment pas en dispositions
de l'autorité supérieure.
C’est la
vérification de l'orthodoxie des décisions prises qui justifie l’exigence de la
reconnaissance du Siège apostolique ; cette dernière se veut aussi une expression
juridique de la communion entre les Conférences épiscopales et le Saint-Siège.
En ce sens, elle ne doit pas être considérée comme une mesure à l’encontre de la
responsabilité effective des Conférences épiscopales ou de l’autonomie légitime
des Églises diocésaines.
Conclusion
La configuration
juridique et structurelle des Conférences épiscopales préfigure, dans la
société ecclésiale d'aujourd'hui, une nouvelle façon pour les Évêques de
gouverner l'Église, dans une dimension de communion et de solidarité, à
l’intérieur d’un territoire donné et d'un espace culturel spécifique. Leur activité
exprime aussi une manière plus appropriée et plus efficace de répondre aux
besoins des temps et des différents milieux humains et sociaux.
Ainsi, le rôle des Conférences
épiscopales est essentiel pour relever les défis du monde contemporain auxquels
l'Église est confrontée, et pour offrir un service précieux à l'évangélisation
des cultures et à l'inculturation de la foi.
____________________
[1] Cf. Christus
Dominus, 11.
[2] Lumen gentium, 23.
[3] "L'Église du Christ, proclamée une, sainte,
catholique et apostolique dans le Symbole, est l'Église universelle,
c'est-à-dire la communauté universelle des disciples du Seigneur, qui devient
présente et agissante dans la particularité et la diversité des personnes, des
groupes, des époques et des lieux. Parmi ces multiples expressions
particulières de la présence salvifique de l'unique Église du Christ, on trouve
dès l'époque apostolique des expressions qui sont en elles-mêmes Églises, parce
que, bien qu'elles soient particulières, l'Église universelle est présente en
elles avec tous ses éléments essentiels. Elles sont par conséquent constituées ‘à
l'image de l'Église universelle’, et chacune d'entre elles est une portion du
peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu'avec l'aide de son presbyterium il
en soit le pasteur", Congrégation
pour la Doctrine de la Foi, Communionis
notio, Lettre sur certains aspects de l'Église comprise comme communion (28
mai 1992), 7. [4] "C'est pour cela que l'Église universelle est le Corps des Églises ; donc on peut aussi appliquer de manière analogique le concept de communion à l'union entre les Églises particulières, et comprendre ainsi l'Église universelle comme une Communion d'Églises", Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Communionis notio…, 8. En réaction à la lettre Communionis notio et à son affirmation centrale de "la réalité ontologiquement et chronologiquement préalable de l’Église universelle à toute Église particulière singulière", dans la revue Stimmen der Zeit de décembre 2000, Mgr Walter Kasper, qui à ce moment n’était pas encore Card. Président du Conseil Pontifical pour l’Unité des Chrétiens, engageait un débat théologique avec l’alors Card. Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ce débat fraternel et exigeant s’est prolongé pendant dix ans; il a aidé à approfondir les délicates articulations du rapport entre Église universelle et Églises particulières. Pour une synthèse dudit débat cf. A. Miltos, Les Églises locales et l’Église universelle; une relecture orthodoxe du débat Ratzinger-Kasper, in "Istina" 58 (2013/I) 23-39.
19/12/2013
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