LA CÉLÉBRATION
DU MARIAGE/3
Forme canonique et
problèmes pastoraux en Afrique
Un
regard approfondi sur les mariages traditionnels en Afrique nous conduirait
loin de notre sujet, vu leur variété et particularité selon les pays et même à
l’intérieur du même pays, selon les ethnies et les coutumes ; une
abondante littérature nous est d’ailleurs produite à ce propos.
Les
mariages africains traditionnels ![]()
Il faut en vérité souligner que dans
l’Afrique contemporaine, certaines coutumes ont été presque totalement
abandonnées à la suite du contact avec la civilisation européenne. Les progrès
de la scolarisation et le christianisme ont favorisé la disparition de
certaines pratiques[1] ;
les jeunes s'opposent facilement à certaines formes traditionnelles du mariage
comme elles sont illustrées par bien des romans africains. La modernité et les
considérations économiques sont également en faveur de la disparition d'une
grande partie des coutumes traditionnelles (l’institution qui résiste encore
fortement est la polygamie). Les parents n'imposent presque plus un conjoint à
leurs enfants. Les jeunes vivent souvent un compromis entre la modernité et la
tradition et se réfèrent à l'un ou à l'autre système selon les avantages qu'ils
peuvent en tirer.
Il
reste toutefois une grande multiplicité de traditions pour la célébration du
mariage. Dans cette variété, il y a des éléments communs chez les différentes
cultures des pays africains où le mariage est conçu en même temps comme un acte
personnel ayant une dimension réellement communautaire, une vision qui est
allergique à la conception individualiste de la famille nucléaire. ![]()
Par
ailleurs, l’importance que la communauté familiale attache à l’alliance
matrimoniale explique le soin mis par celle-ci à l’élaboration et à la
constitution progressive du lien matrimonial. Celui-ci ne se conclut pas en une
simple cérémonie de façon ponctuelle. Le rituel est étalé dans le temps et dans
l’espace, certaines étapes étant célébrées tantôt au domicile des parents de
l’élue, tantôt chez son oncle maternel, tantôt dans la famille du jeune homme,
chacune de ces situations ayant sa raison d’être et entrant de façon
constitutive dans l’élaboration progressive du lien. Quoi qu’il en soit du
nombre de ces étapes selon les différents groupes ethniques, il s’agit partout
du sérieux de la démarche et de la maturation graduelle du projet, afin
d’aboutir à une union qui soit moins fragile. L’articulation de ces étapes constitue
un tout dynamique et existentiel qui effectue le mariage. On retrouvera le même
son de cloche à travers toute l’Afrique noire[2].
Dans la pluralité de rites et de coutumes
africains, il y a donc des données culturelles communes. Parmi celles-ci
l’importance de la fécondité dans le couple, la progéniture étant la finalité
du mariage, au point qu’il est normal de considérer comme nul tout contrat
matrimonial sans enfants[3]. La stérilité est vécue
par le couple comme une épreuve douloureuse, même honteuse, que l’on combat
fréquemment, même chez les catholiques, par le renvoi de l’épouse inféconde ou
son "doublement" par une autre femme[4]. Ensuite, le fait que le
mariage est une alliance entre deux familles et que le consentement des
conjoints s’insère dans un cadre plus vaste d’accords et d’entente. Dans ce
cadre, il faut mentionner l’importance de la dot, considérée comme une
"compensation" pour la famille de la femme.
La dot est une institution fondamentale qui
entraîne un procédé de négociation complexe, très formel et long entre les deux
familles, pour parvenir à une entente mutuelle sur ce que le fiancé aura à
verser pour pouvoir épouser sa fiancée. Cette coutume n’est pas une transaction
purement commerciale, même si elle est exposée aux abus et aux distorsions dans
le monde moderne, au point de devenir parfois un vrai achat de la femme. En
effet d’un geste qui était jadis remerciement et compensation envers les parents
de la jeune fille, doublé du versement d’un ensemble de cadeaux symboliques à
toute sa parenté, on a fait, avec l’introduction de l’argent, un acte aux
dimensions mercantiles[5]. ![]()
La dot se veut aussi un geste de gratitude
de la part de la famille du marié envers la famille de la mariée pour l’avoir
élevée et avoir pris soin d’elle. De
toute façon, elle revêt un rôle
fondamental et dans certaines traditions; dans le cas de non-versement de la
compensation, l’homme et la femme ne sont pas considérés comme mariés, mais
comme vivant en concubinage[6], même s’ils ont vécu
pendant beaucoup d’années ensemble et ont eu de nombreux enfants.
Il
faut enfin considérer le caractère progressif du mariage traditionnel qui
s’exprime mal dans une vision ponctuelle de l’échange du consentement tel qu’il
est prévu par la forme canonique.
L’Église,
nous l’avons dit, ne "canonise" pas le mariage traditionnel ;
l’une des raisons est précisément cette incertitude par rapport au moment
ponctuel à partir duquel on peut affirmer que le mariage est constitué.
La
richesse des symboles, des rites, l’exigence que la dot soit entièrement
versée, la vérification de la fécondité du couple, le caractère progressif du
mariage coutumier, le fait que sa constitution soit étalée dans le temps et
dans l’espace, tout cela rend difficile la détermination du moment où le
consentement des parties est effectivement donné et reçu mutuellement ainsi que
la vérification que toutes les conditions essentielles et tous les éléments
constitutifs du mariage sacramentel soient effectivement présents.
Quelle
solution pastorale ?
Face
à un problème pastoral qui voit un grand nombre de fidèles africains exclus des
sacrements parce qu’ils sont unis par le seul mariage traditionnel, même s’ils
respectent de fait les valeurs essentielles du mariage sacramentel, l’Église
est interpellée pour trouver des solutions adéquates.
Plusieurs
auteurs, théologiens et canonistes, et même des évêques du continent se sont
penchés sur le problème.
Selon
certains, une possibilité pour apporter des remèdes à cette situation serait
l’adoption des rituels traditionnels africains, à condition d’éliminer tout ce
qui est incompatible avec le message chrétien et à condition qu’un prêtre
assiste à la cérémonie, en demandant et recevant le consentement matrimonial
des époux. Une solution plus facile à dire qu’à appliquer et qui demanderait
d’abord de soumettre à une analyse rigoureuse les multiples rituels utilisés
dans les différentes traditions.
Une
perspective plus réaliste et qui est d’ailleurs déjà appliquée dans plusieurs
pays, est d’élaborer des rituels adaptés à partir du Rituel Romain. Le Card.
Malula en s’adressant à ses confrères dans l’épiscopat parlait même d’un Rituel
à plusieurs étapes[7], qui assume les éléments culturels des populations en même temps que les
exigences chrétiennes du sacrement du mariage.
Cette
perspective est d’ailleurs encouragée par le Code de droit canonique qui au
can. 1120 dispose que les Conférences épiscopales peuvent élaborer un Rite
propre du mariage, à faire reconnaître par le Siège apostolique. Ce Rite doit
tenir compte des usages locaux, dans un esprit chrétien, restant toujours sauve
la loi de l’assistant qualifié qui demande et reçoit la manifestation du
consentement.
C’est
un travail qui reste à faire dans la plupart des pays d’Afrique. Les Conférences épiscopales sont tenues de se pencher
sur le problème et d’élaborer des rituels adaptés pour consentir aux fidèles
africains de célébrer un mariage chrétien qui soit en même temps proche
culturellement à leurs propres traditions. L’élaboration de tels rituels permettrait d’éviter les effets néfastes
tels que la régularisation tardive des mariages, l’indifférence à l’égard des
sacrements provoquée par le fait qu’on en est écarté à cause des unions irrégulières
sur la base des mariages traditionnels. ![]()
Une
dernière considération nous semble finalement importante.
Malgré
l’exigence légitime des fidèles africains à célébrer un mariage chrétien proche
de leur sensibilité culturelle, il ne faut pas sous-estimer une difficulté
d’ordre "évangélique" et non culturelle.
Bien
souvent, derrière le refus de la forme canonique (qui se réduit au fond à la
question posée par le représentant de l’Église et à laquelle les conjoints sont
tenus de répondre par leur assentiment, en présence de témoins), il n’y a pas
tout simplement le refus d’une forme culturelle occidentale étrangère à la
sensibilité africaine, mais plutôt le refus, bien plus significatif, d’assumer
véritablement les valeurs propres du sacrement du mariage, comme la foi
chrétienne le propose, c’est-à-dire se lier d’une manière monogamique et
indissoluble à un partenaire, par un engagement de fidélité et sans avoir vérifié
d’avance sa fécondité ou la solidité du lien dans les diverses circonstances de
la vie.
Nous
sommes confrontés alors plutôt à un refus des valeurs propres de la foi
chrétienne à l’égard du sacrement du mariage qui est toujours une
"voie" de sainteté proposée aux fidèles et qui demande leur
engagement responsable dans le bon et mauvais sort, bref, c’est un chemin
exigeant pour tous.
Dans
ces cas, il ne s’agit pas d’un problème d’adaptation culturelle, mais de la
nécessité d’une évangélisation en profondeur des cultures africaines. Silvia Recchi
______________________
[1] Telles que le
mariage entre enfants où la fille est promise en mariage dans la plupart des
cas dès sa naissance ; elle est mariée très tôt et parfois même élevée par
sa belle-famille. Est en voie de disparition aussi le lévirat, un arrangement
au moyen duquel une veuve est mariée à un membre de la famille de son mari
décédé ; de même le sororat, une coutume qui autorise le mari d'une femme
stérile à épouser une sœur de sa femme, comme une épouse cadette, pour qu'elle
lui donne des enfants. Ou encore l’institution socialement légitime en Afrique,
très répandue par ex. dans la société Ibo du Nigéria, qui voit le mariage d'une
fille dans le but de procréer pour son père, une coutume qui vise généralement
à résoudre le problème causé par l'absence d'un héritier mâle. Par ailleurs, la
pratique pour une femme de prendre un amant si son mari est stérile est encore
ancrée dans les mœurs africaines, spécialement dans les villages. Dans les
villes, le divorce est devenu la solution à certains des problèmes posés par le
mariage.
[2] Ce sont les mots
librement reproduits de Mgr Dieudonné M’Sanda Tshinda, Évêque de Kenge au Congo
Démocratique, cf. V. Mulago, La famille et le mariage africains
interpellent l’Église, in Théologie
africaine et problèmes connexes. Au
fil des années (1956-1992), L’Harmattan, Paris, 2007, 264 ss.
[3] Cf. J-M. V. Aksanti Koko Balegamire, Mariage africain et mariage chrétien,
L’Harmattan, Paris 2003, 85.
[4] Cf. M. Legrain,
Questions autour du mariage. Permanences
et mutations, Éd. Salvador, Strasbourg 1983, 130
[5] Cf. M. Legrain,
Questions autour du mariage…, 131.
[6] Cf. A. Essomba Fouda, Le mariage chrétien au Cameroun. Une réalité anthropologique, civile et
sacramentelle, L’Harmattan, Paris 2010, 49.
[7] Cf. Card. J.-A. Malula, Mariage et
famille en Afrique, in Documentation
catholique, t. 81 (1984) 878.
11/03/2014
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