LE DROIT DE L’ÉGLISE FACE AUX CULTURES/1 Droit universel et droit particulier
Si l'on considère la genèse des règles canoniques au
cours des siècles, on peut constater que leurs sources émanent des “particularités”
des Églises locales, des problèmes concrets vécus par les communautés
ecclésiales à la recherche d’une discipline et d’un cadre pour protéger leur
vie de foi.
Les normes juridiques ont exprimé, au moins pendant
les dix premiers siècles, un fort caractère empirique, visant à répondre à des
situations concrètes. Ensuite, l'Église universelle accueillera beaucoup de
normes édictées par les conciles locaux célébrés au cours des premiers siècles. ![]()
C’est seulement plus tard, à partir de l'époque
classique marquée par la réforme grégorienne, que s’imposera un processus qui conduira
progressivement à des formulations plus systématiques et abstraites de la loi
canonique. Celle-ci deviendra de plus en plus l’expression d’une rationalité
visant à protéger le bien commun et donc, d'une certaine façon, plus éloignée
des besoins spécifiques de communautés ecclésiales particulières.
Le Code de 1917 a été l'expression la plus éminente de
cette rationalité. Il offrait à tous les pays, peuples et cultures, un habit
juridique uniforme, sa préoccupation dominante étant celle de l'unité
considérée comme uniformité de langues, de structures, de gestes et de
discipline[1].
C’est Vatican II qui a redonné sa juste place aux
Églises particulières dans la structure de l'Église, en attribuant à l'Évêque
diocésain un pouvoir ordinaire, propre et immédiat. L’image de l’Église que
Vatican II nous présente, comme peuple de Dieu en marche dans l'histoire et se
construisant dans le temps, témoigne d’une vision ecclésiologique mûrie à
travers une perception culturelle du monde contemporain et de ses problèmes qui
a contribué à donner au Concile une grande portée pastorale.
Qu’est-ce
que le droit universel ?
Le droit universel de l’Église se définit normalement
comme l'ensemble de lois et de décrets législatifs universels, notamment
établis pour toute l'Église catholique latine, pour tout le territoire où elle
est installée dans les diverses Églises particulières[2].
En effet, la science canonique a une dimension
universelle qui se réfère à la totalité des relations qui règlent la vie du
peuple de Dieu, et cette dimension ne s'arrête pas aux frontières nationales,
aux races ou aux langues. Pour cela, les lois universelles ne sont pas liées à
un territoire ; elles visent à protéger l'unité du peuple de Dieu autour
de la Parole, des sacrements, des dons de l'Esprit, ainsi qu’à sauvegarder le
bien commun et à organiser le patrimoine de discipline propre à tous les
fidèles.
Ne s'arrêtant devant aucune frontière géographique,
les lois universelles sont donc peu susceptibles d’adaptation devant les
exigences spécifiques des communautés locales, sans par ailleurs exclure des
adaptations devant des situations humaines et culturelles déterminées, comme en
témoigne, par exemple, le droit missionnaire qui
concerne les peuples et les groupes où l'Église n'est pas pleinement constituée
et pour lesquels le droit universel prévoit des adaptations pour favoriser
l’évangélisation, “avec une manière
adaptée au génie et à la culture” des peuples (c. 787 §1). ![]()
Par sa nature propre, le droit canonique ne dispose
pas de la liberté d'évolution qui caractérise le droit civil des différentes
sociétés. Mais, en même temps, toujours en raison de sa nature, il possède une
capacité d’adaptation à des situations spécifiques, en atténuant sa rigueur[3], car son
but pastoral fondamental est le salut des fidèles, maxima lex in Ecclesia.
Aussi la généralisation de l'activité synodale, voulue
par Vatican II et structurée dans le Code actuel, tend-elle à permettre une
meilleure considération de la variété des situations culturelles qui caractérisent
la vie du peuple de Dieu. On peut mentionner également, à cet égard,
l'importance des structures de coresponsabilité et de participation prévues par
le Code (tels que le synode diocésain, le conseil pastoral, presbytéral…).
Celles-ci permettent un processus de consultation visant à faire confluer, dans
le dynamisme de formation du jugement de l’autorité ecclésiastique, le sensus fidei, les différents charismes,
ainsi que l'identité culturelle du groupe humain qui lui est confié.
Le domaine liturgique est un exemple ultérieur où le
Code actuel a subverti la tendance centralisatrice du Code précédent. Le Code
manifeste une option pour la diversité dans l'unité, en abandonnant la loi de
l'uniformité en faveur de la décentralisation, avec une attention particulière
portée sur la communauté qui célèbre. Il prévoit une adaptation de la liturgie
au génie des peuples, pour promouvoir une approche plus significative du
mystère de la foi et une participation plus grande des fidèles[4].
Qu’est-ce
que le droit particulier ?
La donnée la plus significative qui qualifie le
rapport entre le Code actuel de l’Église et les exigences des différentes
cultures est représentée par les possibilités laissées par le droit universel en
vue de la création d'un droit particulier pour réaliser les adaptations
nécessaires à la vie des Églises locales.
En effet, le Code de droit canonique en vigueur laisse
un espace important à la production d’un droit particulier comme instrument de son adaptation. Le renvoi à la législation
particulière est un principe coessentiel à son esprit qui a permis d'effectuer
une réduction quantitative des règles de droit commun par rapport à la
législation précédente.
![]()
Dans l’Église, ce droit particulier ne s'oppose pas au
droit universel, ni ne représente un moyen pour se soustraire aux exigences de
la communion ecclésiale. Il est, par contre, l’instrument pour réaliser une
saine autonomie et une décentralisation qui permet de promouvoir les valeurs
des communautés particulières et de répondre aux exigences des cultures
spécifiques, pour protéger et exprimer la vie de foi des différentes
communautés ecclésiales.
Les législateurs particuliers sont ceux qui peuvent
établir des lois pour une partie de l'Église, pour un territoire déterminé ou
pour une communauté. Nous ferons référence surtout à l'Évêque diocésain et aux
Conférences épiscopales. Silvia Recchi
______________________
[1] Cf. Ph. Antoine, Le Code de droit canonique face aux exigences de l’inculturation,
in “L’Année canonique” 34 (1991) 177-180.
[2] Les lois universelles, générales ou spéciales,
obligent “partout tous ceux pour lesquels elles sont promulguées” (can. 12 §1).
[3] Il suffit de penser au principe de l'équité
canonique, ou encore à la figure juridique de la “dispense”, qui n’existe pas
dans le système civil basé sur le principe selon lequel “la loi est égale pour
tous”.
[4] Cf. S. Recchi, Il Codice e l’inculturazione, in Gruppo Italiano Docenti di diritto canonico,
Fondazione del diritto. Tipologia e
interpretazione della norma canonica (Quaderni della Mendola 9), Edizioni
Glossa, Milano 2001, 235-256.
20/07/2014 |