Droit canonique et cultures/32
Les religieux sont-ils Des laïcs ?/3
Un éclairage canonique
Nous avons évoqué le fait que la
terminologie de Vatican II concernant la vie religieuse présente des ambiguïtés
par rapport auxquelles le Code de Droit canonique sera obligé d’apporter une
plus grande précision.
Qui est le religieux ? ![]()
En effet, le chapitre VI de Lumen gentium appelait religieux tout
membre d’institut de vie consacrée (notamment les ordres religieux, les congrégations
religieuses, les instituts séculiers) et des sociétés de vie apostolique
(appelées alors de vie commune). Cela entraînait des contradictions
terminologiques à l’intérieur des textes conciliaires, car Lumen gentium avait défini comme vie religieuse les Instituts
séculiers, alors que le décret Perfectae
caritatis affirme que ces derniers ne sont pas des Instituts religieux (PC 11).
La terminologie concernant la vie
religieuse a posé des problèmes délicats à la Commission chargée de la révision
de cette partie du Code. La difficulté n’était pas purement technique, mais
doctrinale et consistait dans la nécessité de trouver un titre apte à
comprendre également les Instituts religieux, les Instituts séculiers et les
Sociétés de vie apostolique. Lumen
gentium les avait tous mis dans le chapitre VI intitulé “Les religieux”, en
donnant à ce terme une signification théologique comprenant tous ceux qui, en
formes différentes, consacraient leur vie à Dieu par la profession des conseils
évangéliques.
Le titre n’était pas approprié et ne
pouvait satisfaire le législateur canonique.
La première dénomination proposée comme
alternative fut donc “Les Instituts de perfection”, un choix ensuite rejeté à
cause du terme “perfection” qui semblait discriminer les autres fidèles, tous
également appelés à la perfection. Le titre fut donc changé en “Les instituts
de vie consacrée par la profession des conseils évangéliques” et devint ce
qu’il est actuellement[1]. Plusieurs auteurs ont accueilli avec difficulté les expressions “vie consacrée” et “consécration” caractérisant les fidèles qui professent les conseils évangéliques, de peur qu'une telle terminologie ne puisse insinuer une sacralité spéciale, une supériorité des personnes consacrées par rapport aux simples baptisés, alors que la base sacramentelle est la même. ![]()
Par le terme
“consécration”, le Magistère de l'Église a voulu affirmer que la voie de la
profession des conseils évangéliques est possible par une grâce de l'Esprit ;
c'est une voie charismatique et non simplement ascético-morale, à laquelle ne
sont pas appelés tous les baptisés, parce qu'elle suppose une vocation
spéciale. Même si la consécration dont il est question n’a pas une source
sacramentelle comme pour le baptême, la confirmation, l’ordre sacré, elle est
réelle et découle d'une nouvelle intervention divine et d'une nouvelle grâce
accueillie par le fidèle et donnée pour l'édification de l'Église.
L’expression “vie consacrée”, utilisée pour
la première fois de manière officielle par le Code, témoigne d’une évolution
doctrinale, en développant ce que Vatican II avait déjà semé. La profession des
conseils évangéliques, dans n’importe quelle forme reconnue par l’Église, pose
les fidèles dans un état de consécration spéciale. Celle-ci devient, aussi d’un
point de vue juridico-disciplinaire, un paramètre qui définit l’état des
fidèles qui l’assument.Par le terme “consécration”, le Magistère
de l'Église a voulu affirmer que la voie de la profession des conseils
évangéliques est possible par une grâce de l'Esprit ; c'est une voie
charismatique et non simplement ascético-morale, à laquelle ne sont pas appelés
tous les baptisés, parce qu'elle suppose une vocation spéciale. Même si la
consécration dont il est question n’a pas une source sacramentelle comme pour
le baptême, la confirmation, l’ordre sacré, elle est réelle et découle d'une
nouvelle intervention divine et d'une nouvelle grâce accueillie par le fidèle
et donnée pour l'édification de l'Église.
La vie religieuse est désormais l’une des
formes, parmi d’autres, de vie consacrée, avec sa propre identité charismatique
et canonique.
Cette vie, comme l’avait affirmé Vatican
II, ne se situe pas entre la condition du clerc et celle du laïc ; Dieu
appelle les fidèles de l’une et de l’autre condition à suivre le Christ dans
une forme de vie consacrée.
Le Code explicite cette vision dans le can.
588 §1, en affirmant que l’état de vie consacrée, par sa nature, n’est ni
clérical, ni laïque, parce que son fondement ne se trouve pas dans le sacrement
de l’ordre, mais dans la profession des conseils évangéliques à laquelle
peuvent être appelés aussi bien les laïcs que les clercs.
Les personnes consacrées ne se trouvent
pas, du point de vue sacramentel, dans une nouvelle situation dans l'Église par
rapport aux simples baptisés ; de ce point de vue, elles vivent la
condition chrétienne commune, mais elles répondent avec une modalité spéciale
aux exigences du baptême et de la confirmation. La vie consacrée n'est pas un
super-baptême ; elle est, par contre, enracinée profondément dans la
consécration baptismale. ![]()
Le Magistère de l'Église considère la
consécration de ceux qui professent les conseils évangéliques comme un
approfondissement de la consécration baptismale ; il la définit comme une “consécration
spéciale”, à un “titre nouveau et particulier”[2].
Par la profession de la chasteté, de la
pauvreté et de l'obéissance, vécue selon les charismes des instituts, les
personnes consacrées (et donc les religieux) vivent un détachement existentiel
des valeurs et des biens naturels du monde. Il ne s'agit pas seulement de vivre
la vie ordinaire, tout en l'imprégnant d'esprit évangélique, mais de créer de
nouvelles structures de vie fraternelle, qui reçoivent leur sens du Christ et
des valeurs évangéliques, assumées comme des valeurs absolues. Pour cette raison, les personnes consacrées adoptent des structures de vie différentes de celles qui définissent l’état des fidèles laïcs et qui expriment avec une plus grande radicalité l'aspect transcendant de la vocation chrétienne et sa dimension eschatologique.
Les religieux sont-ils des laïcs ?
Après
tout ce que nous venons de dire, il est facile de conclure que si l’on choisit
le sacrement de l’ordre comme critère de distinction, les religieux frères et
toutes les religieuses sont des laïcs.
D’ailleurs,
les origines de la vie religieuse, caractérisées par le phénomène monastique,
sont profondément laïques et nous montrent de simples fidèles à la recherche
d’une forme plus radicale de vie évangélique.
Mais ce
critère ne suffit pas pour rendre compte de la nature de la vie religieuse qui
ne se situe pas dans la structure hiérarchique de l’Église, mais dans sa
structure charismatique. ![]()
La
distinction laïc-clerc est donc insuffisante pour exprimer l’état canonique des
religieux. Le Code affirme, en effet, que l’état de vie consacrée, de par sa
nature, n’est ni clérical ni laïque (can. 588 § 1).
La
distinction tripartite, comme nous l’avons vue dans le can. 207 §2, rend mieux
compte de la spécificité des différents états canoniques qui correspondent aux
différentes vocations, mais ne clarifie pas toute la problématique
sous-jacente, en particulier à l’égard de l’identité du laïc.
Pour ce qui nous concerne, nous pouvons
simplement conclure en disant que l'originalité de la vie consacrée par rapport
au laïcat, même dans les formes où l’on participe plus intensément au caractère
de sécularité, se trouve essentiellement dans les moyens choisis pour parvenir
à la perfection de la charité. Ces moyens qu’on assume ne sont pas ceux qui
sont propres aux fidèles laïcs, mais ils sont spécifiques, suite à un nouvel
appel à approfondir la consécration baptismale. Silvia Recchi
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[1] Sous ce
titre, dans un premier temps, il y avait aussi les Sociétés de vie apostolique.
Après un long débat, avec des avis discordants, elles ont été placées en dehors
de la catégorie “vie consacrée”. Ce choix a pourtant laissé insatisfaites les
Sociétés où il y a une vraie vie consacrée, comme formellement reconnu par le
can. 731 §2.
[2] Cf. Perfectae caritatis,
1 et 5 ; Vita consecrata, 30 ; Code de Droit Canonique,
can. 573.
03/09/2014
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