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CHRIST SOUS LE VOILE DE L'ISLAM/3 Louis Massignon et les musulmans
Intercéder pour les musulmans
Aux yeux de Massignon, le suprême intercesseur, le vrai substitut,
c'est al-Hallâj, grâce auquel il est
Ayant compris que le premier substitut avait été Jésus, Massignon
désira tout de suite se consacrer au salut des hommes, ses frères. Plus tard il
voulut aller jusqu'au bout de son offrande en étant ordonné prêtre. Mais
Massignon répétera que son retour dans l'Église était dû à la prière des saints
musulmans, depuis al-Hallâj jusqu'aux Alussi, prière qu'il considèrera comme
une dette insolvable. C'est dans cette optique qu'il fonda l'association de
prière badaliyya,
"substitution", fondée sur le principe de la compassion, dans son sens étymologique de communion de sentiments
et de souffrance vécue en union avec un autre ou même à sa place.
La compassion s'enracine dans cette relation je-tu où
"l'Étranger" répète la question : "De nous deux, dis-moi, qui
est l'Amant ?".
Cette expérience si singulière, d'une rencontre avec le
Christ vivant à travers le témoignage et la prière de quelques amis musulmans, a
porté Massignon à regarder l'Islam non avec le regard froid et comparateur de l'historien
des religions, mais dans l'élan d'une extase mystique à travers laquelle les
musulmans sont contemplés avec le regard même de Dieu. Le fait qu'à l'origine
du rapprochement entre chrétiens et musulmans, que Massignon a favorisé plus
que tout autre, il y ait la volonté de l'"Étranger" venu le visiter
et induire une orientation imprévue à sa vie, fait beaucoup réfléchir.
Le saint musulman qui a converti Massignon
Massignon a toujours déclaré qu'il devait tout à al-Hallâj
: c'était grâce à lui qu'il était devenu mystérieusement chrétien. Pour
Massignon découvrit la figure d'al-Hallâj à l'époque des
premiers contacts avec l'Islam, au Caire, au moment où il dévorait tout ce qui
pouvait lui permettre de comprendre de l'intérieur la civilisation islamique.
Il acquit ainsi une familiarité avec ce sufi ("mystique", du nom de l'habit
de laine – sûf – qui caractérisait les
assoiffés de Dieu), mis à mort en 922 par une sentence prononcée par le Calife,
dans des circonstances qui rappellent le supplice du Christ : ses mains et ses pieds
lui furent coupés, il fut pendu à un bois pour être bien visible par tous – peut-être
fut-il vraiment crucifié –, il pardonna à ses bourreaux, le jour suivant il
reçut le coup de grâce, fut décapité, brûlé et ses cendres furent jetées au vent
du haut d'un minaret. Son exécution, de fait, déchaîna des émeutes populaires à
Bagdad et on pensa que l'incinération de son corps pourrait éviter d'autres formes
de rébellion sociale.
Al-Hallâj voulait recueillir l'héritage de Jésus en devenant
son imitateur, selon la coutume des sufis de choisir un modèle de sainteté parmi
les prophètes du passé. Tout saint, dit-on dans l'Islam, "marche sous le
pied" d'un prophète particulier. Que Jésus jouisse d'une considération
spéciale parmi les sufis est confirmé par ce mot d'Ibn Arabî : "Celui dont
la maladie s'appelle Jésus ne peut guérir".
Pourquoi al-Hallâj fut-il tué? La méfiance de l'Islam
vis-à-vis du mysticisme ne suffit pas à l'expliquer. Depuis les premières
"Religion de croix sera ma mort"
Malgré son supplice, même après al-Hallâj, le sufisme
continuera à fleurir, malgré les tensions récurrentes avec les théologiens et
les juristes. Certaines affirmations des sufis et avant tout leur enthousiasme,
dérangeaient. Cela peut paraître curieux vu que l'Islam est perçu par les Occidentaux
comme une religion fanatique, mais ‒ dans la synthèse classique ‒ il s'agit d'une
religion qui invite toujours à la modération, à la voie moyenne. Les excès dans
le sens de la vertu, ne sont jamais particulièrement appréciés. Il est bon d'être
généreux, mais pas trop. Il faut être dévots, mais pas trop.
Les expressions les plus paradoxales d'al-Hallâj, les
"plus ivres" (comme le diraient les sufis), fruits de ses moments extatiques,
furent extrapolées, provoquant l'accusation de dépasser les bornes.
Le plus scandaleuse de ses affirmations fut certainement
la suivante : "Je suis la vérité". En arabe cela sonne exactement
comme : "Je suis Dieu". En effet al-haqq,
"la vérité" est l'un des 99 noms de Dieu. En cherchant la raison de
la mise à mort d'al-Hallâj, Massignon observait que, dans l'hagiographie
musulmane, il était vu comme le héros vaincu en combat singulier
Dans ces versets d'al-Hallâj, à la religion traditionnelle, symbolisée par la Mecque et Médine, s'oppose une religion enivrante, de l'identification avec Dieu, symbolisée par la croix : la croix car, dans ce monde, l'union avec Dieu porte en elle-même un poids insupportable. C'est pourquoi al-Hallâj est un vaincu : exactement comme on est vaincu en amour.
25/09/2017 |