VISITE DU CARDINAL SARAH EN BELGIQUE
* Quels sont aujourd'hui, selon vous, les principaux défis que doit
relever l'Église catholique, en particulier en Europe occidentale ?
Je crois que l'Église
affronte aujourd'hui de grandes questions. D'abord, sa fidélité à Jésus, à son Évangile,
sa
Le deuxième défi,
c'est la foi. La foi a chuté, non seulement au niveau du Peuple de Dieu, mais
même parmi les responsables d'Église, on peut se demander quelquefois si nous
avons vraiment la foi. A Noël, un prêtre, pendant la messe du dimanche, a dit
aux chrétiens : "Aujourd'hui, nous n'allons pas réciter le 'Je crois en
Dieu', parce que moi, je n'y crois plus. Nous allons chanter un chant qui va
exprimer notre communion ensemble".
Je pense qu'aujourd'hui, il y a une grande crise de foi, une grande crise aussi
de notre relation personnelle à Dieu.
Après son élection,
le pape Benoît XVI, qui percevait les grands défis de l'Église, a immédiatement
voulu une année saint Paul. Il voulait ainsi nous amener à avoir une relation
personnelle avec Jésus. La vie de cet homme, qui persécutait l'Église, a été
totalement transformée quand il a rencontré Jésus. Il a dit : "Je vis, mais
ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. Pour moi, vivre,
c'est le Christ".
Ensuite, Benoît XVI
a voulu une année consacrée au sacerdoce. Il y a aussi une grande crise sacerdotale.
Non parce qu'il n'y a pas assez de prêtres. Au VIIe siècle, le pape
Grégoire le Grand disait déjà qu'il y avait trop de prêtres. Aujourd'hui, il y
a 400.000 prêtres. Mais est-ce que les prêtres vivent vraiment leur vocation ?
Enfin, Benoît XVI a voulu une année de la foi. Ce sont là les trois grands
défis de l'Église aujourd'hui.
* Comment les chrétiens peuvent-ils davantage découvrir Dieu, et le faire
(re)découvrir par celles et ceux qui ne le connaissent pas, ou plus ?
Comment
découvre-t-on une amitié ? C'est dans la relation. Un ami, je le connais de
plus en plus si je le fréquente réellement et en profondeur. Eh bien, Jésus,
Dieu, nous le connaissons et nous avons une relation avec lui si nous prions.
Or, je crois qu'on discute beaucoup, mais qu'on prie peut-être peu. Je pense
qu'une des façons de redécouvrir Dieu et d'avoir une relation personnelle avec
lui, c'est la prière, la prière silencieuse, la prière qui est uniquement un
vis-à-vis. La prière, ce n'est pas dire des choses, c'est se taire pour écouter
Dieu qui prie en nous. Saint Paul dit : "Nous ne savons pas prier".
Laissons l'Esprit Saint nous envahir et prier. Il crie en nous : "Abba,
Sa Parole est
également un moyen pour entrer en relation avec Dieu. Sa Parole, c'est Lui-même
qui est là, c'est Dieu qui s'est exprimé, et, en lisant sa Parole, nous
connaissons davantage son Cœur. Nous connaissons ses grandes ambitions pour
l'homme. Il voudrait que nous soyons saints comme Lui, notre Père, est saint.
Nous pouvons
également entrer en relation avec Dieu à travers les mystères des sacrements.
Les sacrements, ce sont les moyens que Dieu a inventés pour que nous soyons
réellement en lien avec lui. Quand je suis baptisé, comme disait le pape Benoît
XVI, je suis plongé dans la Trinité. Quand je reçois le corps du Christ, c'est
vraiment le Christ qui vient en moi et je suis en lui. Par la confession, on
rétablit les liens qui étaient cassés entre un homme et Dieu. Donc, tous les
moyens sont là pour que l'homme puisse retrouver Dieu en vérité.
* Depuis fin 2014, vous aidez le Pape à veiller sur la vie liturgique de
l'Église. En quoi la liturgie, principalement l'eucharistie, est-elle si
importante pour l'Église ?
L'eucharistie est
le sommet et la source de la vie chrétienne. Sans eucharistie, on ne peut pas
vivre. Jésus a dit : "Sans moi, vous ne pouvez pas vivre". C'est
pourquoi il faut célébrer l'eucharistie avec beaucoup de dignité. Ce n'est pas
un rassemblement entre amis, ce n'est pas un repas qu'on prend de manière
légère, c'est vraiment Dieu qui se donne à nous, pour qu'Il reste avec nous.
Dieu est notre vie, Dieu est notre nourriture, Dieu est tout pour nous. Et il
veut manifester cela dans l'eucharistie. L'eucharistie doit être quelque chose
de tellement sacré, de tellement beau !
Mon dicastère
essaie de promouvoir cette beauté de la liturgie. La liturgie n'appartient à
personne, elle n'appartient pas à l'évêque, ni au prêtre, qui ne peut décider
de faire ceci ou cela. Il doit suivre ce qu'indiquent les rubriques, ce
qu'indique la liturgie, les lois de l'Église. C'est une forme d'obéissance. Il
y a peut-être des choses qui me gênent,
Nous essayons de
faire comprendre que la liturgie est un grand cadeau fait aux chrétiens, qui se
doivent de conserver ce qui a toujours été vécu. On s'adapte au moment
d'aujourd'hui, on peut s'exprimer et chanter dans nos langues. L'inculturation
est possible, mais il faut bien la comprendre. Il ne s'agit pas de mettre de la
poudre sur le christianisme, une poudre africaine, une poudre asiatique...
L'inculturation, c'est laisser Dieu pénétrer ma culture, laisser Dieu pénétrer
ma vie. Et quand Dieu pénètre ma vie, il ne me laisse pas intact, il me
transforme. C'est comme l'incarnation : Dieu a pris notre humanité, non pas
pour nous laisser à l'horizontale mais pour nous élever à lui. Saint Irénée a
dit : "Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu". La
liturgie, justement, nous fait devenir Dieu, parce que nous communions avec
lui, et c'est pourquoi il est également important de soigner le silence dans la
liturgie. On demandait à Romano Guardini (théologien allemand du XXe
siècle, ndlr.) : "Quand commence vraiment la vie liturgique ?". Il
répondait : "Par l'apprentissage du silence".
* Depuis une cinquantaine d'années, notre civilisation occidentale
s'éloigne de ses racines chrétiennes, ce qui implique des changements
importants dans la vision de l'homme et de la société. Est-ce que, pour vous,
l'Occident est en train de perdre son âme ?
Non seulement
l'Occident est en train de perdre son âme, mais il est en train de se suicider.
Parce qu'un arbre qui n'a plus de racines est condamné à la mort. Je pense que
l'Occident ne peut pas renoncer à ses racines qui ont créé sa culture, ses
valeurs. Je pense que c'est une crise, mais toute crise finit un jour, nous
l'espérons en tout cas.
Il y a des choses
ahurissantes qui se passent en Occident. Je pense qu'un parlement qui autorise
la mort d'un enfant innocent, sans défense, est une grave violence faite contre
la personne humaine. Quand on impose l'avortement, surtout aux pays en voie de
développement, en leur disant que, s'ils ne le font pas, on ne les aidera plus,
c'est une violence. Ce n'est pas étonnant. Dès qu'on a abandonné Dieu, on
abandonne l'homme, on n'a plus de vision claire de l'homme. Il y a une grande
crise anthropologique aujourd'hui en Occident. Et cela mène à traiter la
personne comme un objet.
Je suis certain
que, si l'Occident, si l'Europe renonce absolument à son identité chrétienne,
la face du monde changera tragiquement. Vous avez été amenés à apporter la
civilisation chrétienne en Asie, en Afrique... et vous ne pouvez pas dire d'un
seul coup que ce que vous nous avez donné n'a aucune valeur. Parmi les jeunes,
on voit apparaître une certaine opposition à cette manière de traiter l'homme.
Il faut prier pour que l'Occident reste ce qu'il est.
* En 2012, l'Église catholique a célébré les cinquante ans de l'ouverture
du Concile Vatican II. Peut-on dire aujourd'hui que le Concile Vatican II a été
effectivement appliqué dans l'Église ?
Je ne peux que vous
répéter ce que Benoît XVI a dit. Il y a deux conciles. D'une part, le vrai
concile, qui a donné
Par exemple, au
numéro 22, au paragraphe 3, il est dit qu'aucun prêtre ne peut ni changer, ni
modifier, ni retrancher ce qui est écrit dans les livres sacrés. Mais aujourd'hui,
on improvise, on invente des choses, donc on ne peut pas dire qu'on applique le
concile. Je pense que nous avons encore beaucoup à faire pour connaître le
concile. C'est-à-dire aller aux textes, et essayer de les vivre comme si
c'étaient des textes révélés, parce que c'est l'Esprit Saint qui était présent
durant ce concile.
Dans le domaine de
la liturgie, il y a eu beaucoup d'abus. Beaucoup ont cru qu'ils pouvaient
inventer de nouvelles liturgies, alors qu'il y a une continuité à maintenir. Il
n'y a aucune rupture dans l'Église, il y a toujours une continuité. Le concile
a effectivement provoqué une autre vision de la place de l'Église par rapport
au monde, mais je pense que si on avait respecté les textes, nous ne vivrions
pas ce que nous vivons aujourd'hui.
La réforme
liturgique voulait que tous ceux qui croient au Christ soient unis en vivant
bien la liturgie, et que tous ceux qui ne croient pas au Christ viennent dans
l'Église de Dieu. Mais, en vérité, il y en a qui partent de l'Église, et ceux
qui ne connaissent pas le Christ ne viennent pas non plus. Il y a des choses
qui ont été bien appliquées, mais nous avons appliqué le concile comme nous
l'avons voulu, sans aucune règle.
* Le pape François a entamé certaines réformes dans l'Église. Est-ce que
l'Église doit être constamment réformée ? Et si oui, en quel sens ?
Oui, parce que l'Église
est formée des pauvres pécheurs que nous sommes. Donc, nous avons toujours
besoin d'une conversion, de nous réformer. Je ne pense pas que cette réforme
concerne uniquement les structures de l'Église. Parce que si les structures
sont bien réorganisées, il faut encore qu'elles fonctionnent bien. Or, ce sont
les hommes qui les font fonctionner. Et si nous-mêmes ne sommes pas réformés,
changés, il n'y a pas de réforme.
Et puis, il y a
deux façons de réformer l'Église. Ou on réforme l'Église à la manière de
Luther, en critiquant l'Église, en l'abandonnant. Ou bien, nous pouvons
réformer l'Église à la manière de saint François d'Assise, par la radicalité de
l'Évangile, la pauvreté radicale. Or, c'est cela la vraie réforme de l'Église :
vivre pleinement l'Évangile, vivre pleinement ce que nous avons reçu de
Jésus-Christ et de la tradition.
Je pense que la
vraie réforme est cet appel constant à la conversion. La vraie réforme, c'est
ce que nous dit le concile, c'est l'appel universel à la sainteté. La beauté de
l'Église, ce sont les saints. Le printemps de l'Église, ce sont les saints qui
le réalisent. Ce n'est pas le nombre des chrétiens, ce ne sont pas les
nouvelles structures que nous faisons, mais la sainteté de la vie chrétienne.
* Quel est le cœur
du christianisme ? C'est "Dieu est Amour". Et l'amour est exigeant. L'amour vrai va jusqu'à la mort. Aimer vraiment, c'est mourir. L'exemple nous est donné par Jésus. Il nous a aimé jusqu'à la fin, jusqu'à donner sa vie. Si nous arrivions à vivre pleinement selon cet exemple de Dieu qui se révèle comme le Dieu d'amour, et qui veut que nous soyons nous-mêmes amour, parce que nous sommes Christ, nous arriverions à changer le monde. Dieu est Amour. C'est le cœur du christianisme.
(Propos
recueillis par Christophe Herinckx)
© www.cathobel.be /www.kerknet.be - 14 février 2018
Photos de la rédaction www.missionerh.it 19/03/2018 |